Fidèle à son approche de congrès des professionnels par les professionnels, le Forum Bois Construction a construit une nouvelle fois son programme en fonction des appels à projets adressés entre septembre et novembre 2023. Il en ressort une sorte de séisme, car les architectes ne jurent plus que par le bio/géosourcé, une tendance particulièrement marquée chez la jeune génération dite « frugale ».
Le totem de la 11e édition du Forum, à Nancy en avril 2022, un travail de La Fabrique. Pour 2024, le totem se fera en minimaisons des Défis du bois 3.0 de 2023. Photo : Jad Sylla
Le Forum Bois Construction n’est pas le clone du Forum Holzbau de Garmisch puis d’Innsbruck. Il doit beaucoup aux États généraux du bois dans la construction, organisés à l’époque par Atlanbois à Angers. Problème des États généraux : au bout d’un certain nombre d’années, on attend la prise de la Bastille. Le Forum s’est d’abord inscrit dans une sorte de routine de congrès, mais ses partenaires lui ont fait comprendre bien vite que la France n’aime pas s’ennuyer. « Ne décidez pas des thèmes des ateliers pour y faire entrer des projets », conseille l’ingénieur bois Yves-Marie Ligot, alors président de l’association IBC, en 2013. De sorte que, depuis dix ans, le programme se construit à partir des appels à projets, un travail considérable pour tout le monde, les candidats comme les organisateurs, avec une forte propension à multiplier les ateliers et à réduire la durée moyenne des conférences à moitié moins que la norme des conférences d’Innsbruck. Longtemps, les architectes n’ont pas su gérer leur temps de parole et se sont perdus dans des considérations préliminaires d’intégration du projet dans son contexte, au point de sacrifier l’essentiel, à savoir les informations sur la construction en bois et matériaux biosourcés. Au point que les ingénieurs dépités ont eu envie de se détourner de cette manifestation qui est pourtant leur meilleure plateforme de communication.
En Allemagne, l’entreprise CLTech, installée à Kaiserlautern et spécialisée dans l’usinage du CLT, collabore avec les chercheurs pour tester des portiques utilisant du chêne sous écorce de faible diamètre. Session 2.2, Enstib, mercredi 3 avril, Épinal. Photo : CLTech
Avec le projet de la Bagagerie (Paris, 14e), l’agence Grand Huit se risque au réemploi de bois structurel. Atelier C4, vendredi 5 avril, Nancy.
Photo : Grand Huit
Un carrefour de sensibilités
Au moins, les appels annuels du Forum ont permis aux organisateurs de sentir le vent et de tracer une mutation qui est mal perçue au sein des instances de la filière bois. Autrefois, construire en bois était sexy pour les architectes, ce n’est plus le cas. C’est sexy pour les donneurs d’ordre. Les architectes carburent plutôt à la paille, au chanvre, à la terre crue, au bois local, au feuillu, au bois peu transformé, au réemploi, au montage réversible, à la ventilation naturelle. On ne les laisse pas toujours faire, et cette tendance de fond est occultée par l’industrie du bois qui pense « bois collés » et « préfabrication » au même titre que les constructeurs. De fait, le paysage français de la construction biosourcée est diversifié et l’édition 2024 du Forum en porte la trace. À Épinal, les constructions feuillues au plus près de la ressource, certes, et les expérimentations en tous genres, mais aussi la préoccupation de construire avec du bois français. À Nancy, la préfabrication du biosourcé, certes, le géosourcé, nécessairement, mais aussi l’écoute de la demande des donneurs d’ordre, les tours en bois, le modulaire 3D, le hors-site, la mixité bois/béton/acier. Le Forum s’enorgueillit de développer un programme suffisamment profond pour offrir une tribune aux émergences, comme ce fut le cas ces deux dernières années avec l’accueil du mouvement de la frugalité heureuse et créative.
Le Forum n’a pas vocation à mélanger les tendances dans le grand tout, au contraire. La frugalité vole de ses propres ailes, la paille prépare son second congrès, les promoteurs du bois s’organisent. De fait, tout en s’ouvrant aux faits saillants du marché, le Forum joue aussi sa petite musique, celle de sa base line « Bâtir en bois pour construire un avenir ». La catastrophe climatique n’est pas balayée sous le tapis des lendemains qui chantent pour la consommation de bois d’œuvre. Dès 2018, un atelier était en préparation sur le thème de la construction en épicéa scolyté, à cause d’un premier projet de recyclerie à Maîche dans le Jura, secondé par un bâtiment d’habitation en Suisse. Pas assez pour construire un atelier, qui deviendrait évident cinq ans après. À l’époque, le thème de la logistique bas carbone pointait son nez, poussant l’écoquartier fluvial de L’Île-Saint-Denis à programmer partiellement l’acheminement fluvial des matériaux à son quartier du Village des athlètes, tandis que le leader européen du sciage de résineux a basculé vers l’acheminement ferroviaire. L’organisatrice du Forum, Nicole Valkyser, estime que miser sur l’économie du carbone, c’est comme le pari de Pascal, on ne peut pas ne pas y gagner. Même si cette économie est balbutiante et parfois raillée ou détournée par les acteurs dominants du marché, elle ne dispose d’aucune alternative. C’est d’ailleurs ce que tous les gouvernements français des vingt dernières années répètent, au point de déléguer deux ministres lors du Forum 2023 de Lille, disant : « Tout le gouvernement est derrière vous. »
La livraison de l’Arboretum est le baobab qui cache la forêt. Le bois investit massivement les grands plateaux de bureaux en France. Atelier B5, vendredi 5 avril, Nancy. Doc. : WO2
Septembre 2023, dernier panneau monté à l’immeuble-pont Hosta, porte Brancion à Paris. Les logements pour jeunes travailleurs, conçus par Hardel Le Bihan Architectes avec Woodeum, créent le rêve d’un périphérique apaisé. Atelier B5, vendredi 5 avril, Nancy. Photo : Jonas Tophoven
Le Forum, bon élève ou vitrine déformante ?
L’an dernier, le Forum a cru que, en allant à Lille, il toucherait du doigt le Graal bruxellois. Au final, pas un seul eurodéputé ne s’est déplacé, mais au moins quelques dizaines d’architectes frugaux de la capitale belge, à la faveur d’une prise en charge par le fabricant d’isolant à base d’herbe, Gramitherm. L’Europe biosourcée a du mal à se faire entendre à la Commission, mais, même si le Forum en est actuellement à la 6e édition du Prix international bois décerné par la presse et que ses affinités avec le Forum d’Innsbruck lui confèrent une approche internationale, ce congrès a grandi en se recentrant sur le marché français et le marché le lui a bien rendu, puisqu’il atteint aujourd’hui un niveau d’épanouissement jamais connu. 2024, c’est l’année d’une élection européenne sans doute décisive. À Nancy, la plénière d’ouverture immédiatement suivie par l’atelier A1 fait une large part à l’Europe, et le focus sur le stockage de carbone n’est pas franco-français, mais global. Il n’en demeure pas moins que ce thème est décliné sur un mode largement français, ne serait-ce qu’à cause d’événements saillants comme les Jeux olympiques ou la reconstruction de la cathédrale Notre-Dame. Le glissement observé du marché de la prescription vers le BTP entendu comme Bois-Terre-Paille est-il déformant ? Les investissements productifs de la filière construction bois, en France, se montent actuellement à plusieurs centaines de millions d’euros. Les achats se concentrent sur les machines, l’industrialisation, la massification, sans trop se préoccuper des invariants économiques selon lesquels il est dangereux de bloquer des capitaux dans des machines face à un marché volatil. Le gouvernement fait un gros pari sur l’avenir, et quand il vient au Forum Bois Construction, impression lui est donnée que ça va marcher. C’est d’ailleurs la 10e édition du Forum, à Paris en juillet 2021, qui a déclenché la vague de soutien financier actuelle. Mais il ne suffit pas de se laisser griser par un salon écoconçu qui reboise, qui développe des stands en feuillu français avec des élèves architectes, qui calcule ses émissions de carbone, dresse des totems pour créer des liens avec les citoyens et rassemble des acteurs passionnants dans une atmosphère détendue. Il faut aller écouter ce qui se dit dans les conférences, et comprendre le message qui y est crié. Ce message n’est pas celui de la massification, de l’industrialisation à outrance, parce que ce type de réponse n’est plus de notre siècle.
Couronnement du hat-trick de Jean-Pierre Rambourdin, le collège de Béthoncourt ne se contente pas de faire du bois-paille labellisé E4C2 (Bâtiments à énergie positive et réduction carbone) comme le lycée Gergovie à Clermont-Ferrand. Il a aussi recours à la terre crue sous forme de briques de terre compressée. Atelier A6, vendredi 5 avril, Nancy. Photo : CRR
Façade Universeine en août 2023, Village des athlètes. Les ATEx B façade bois au service de la variété visuelle et du bas carbone. Atelier A5, vendredi 5 avril, Nancy. Photo : Pascal Gontier
Le Centre Teilhard-de-Chardin donne une âme au plateau de Saclay, avec un peu de bois brûlé dans un environnement de béton. Atelier A6, vendredi 5 avril, Nancy. Photo : Jonas Tophoven
Dans la réhabilitation de l’internat du lycée La Prat’s à Cluny, le démontage de la toiture a permis de placer à l’intérieur du bâtiment des éléments modulaires en gardant la façade ancienne. Atelier B4, vendredi 5 avril, Nancy. Photo : bÖ Architectes
Le cri du carbone
Les acteurs de la construction biosourcée ne construisent pas en fonction de leurs affinités pour la nature ou sa forme idéalisée. Ils sont au contraire l’avant-garde de l’économie du carbone. Et ils sont actuellement rejoints par les donneurs d’ordre qui raisonnent de plus en plus en fonction de la RSE. Moderniser l’outil de production, c’est bien, surtout quand cela permet de réduire l’énergie grise. Mais pour atteindre ce que souhaitent ardemment les pouvoirs publics, à savoir une réduction du déficit de la balance commerciale dédiée, alors qu’elle se creuse dangereusement, il ne faut pas oublier les atouts évidents du marché français, comme le bois local. De fait, les investissements productifs massifs devraient permettre l’émergence d’un réseau plus dense et plus compétitif de transformation régionale et locale. Il va falloir apprendre à transformer le bois d’ici, quel qu’il soit, et aussi le « mauvais » bois. Le véritable moteur de l’industrie de la construction bois, c’est la forêt. Il y a dix ans, on entendait de façon insistante, dans la filière, que la forêt devait s’adapter au marché. Maintenant, la forêt française lutte purement et simplement pour sa survie. L’industrie qui l’entoure doit battre à son rythme et cela demande un changement de paradigme. C’est de fait le sujet du 13e Forum Bois Construction, autour de la notion du stockage de carbone. L’industrie, certes, mais au service de la défense du stock de carbone forestier, en produisant une seconde forêt.
Jonas Tophoven