Grumes de Chene bord de route.

Bois feuillus : quel avenir ?

La dernière conférence internationale des feuillus, qui s’est déroulée à Lyon le 28 octobre 2022, a été l’occasion de faire le point sur le marché de ces essences en Europe. L’événement, organisé par la Fédération nationale du bois (FNB), l’Organisation européenne des scieries (EOS) et la Fédération européenne du commerce du bois (ETTF), a réuni une centaine d’industriels, de négociants et d’experts. Si le secteur était encore en pleine croissance pendant le premier semestre 2022, plusieurs problèmes se sont accumulés depuis, notamment à cause de la situation géopolitique.

En 2021, sur le total des importations chinoises de grumes de chêne de 1,35 Mm3, 52 % provenaient de l’Union européenne. Ici : grumes de chêne en bord de route en Bourgogne. Photo : Nicolas Bretonneau – CRPF Bourgogne © CNPF

Pour les producteurs européens de bois feuillus présents à l’événement, 2022 s’annonce comme l’année du désenchantement. Maria Kiefer-Polz, présidente de la section « bois feuillus » de l’EOS, a rappelé pendant son intervention que, après une augmentation de production en 2021, boostée par la demande croissante, les producteurs européens s’attendaient à une baisse de l’ordre de 3 % en 2022. Le second semestre a été marqué par le ralentissement de la demande, aussi bien sur les marchés intérieurs européens qu’en dehors de l’UE. Plusieurs raisons à cela. Du côté des industriels, la hausse des prix de l’énergie s’avère être un facteur important, surtout dans le secteur du hêtre, dont la transformation est plus énergivore. Dans de nombreux pays, on signale aussi le manque de main-d’œuvre. Côté consommateurs, la baisse de la demande s’explique par une inflation élevée et l’augmentation des taux d’intérêt. Bref, la conjoncture n’est pas encourageante.

Évolution de la production de sciages de bois feuillus en Europe 2017/2022 (estimations) (pays membres d’EOS + Italie + Royaume-Uni) Volumes sciages (x 1000 m3) Source : EOS
Évolution de la production de sciages de bois feuillus en Europe 2017/2022 (estimations) (pays membres d’EOS + Italie + Royaume-Uni) Volumes sciages (x 1000 m3) Source : EOS
Évolution de la production de sciages de bois feuillus en Europe 2017/2022 (estimations) (pays membres d’EOS + Italie + Royaume-Uni) Volumes sciages (x 1000 m3) Source : EOS
Évolution de la production de sciages de bois feuillus en Europe 2017/2022 (estimations) (pays membres d’EOS + Italie + Royaume-Uni) Volumes sciages (x 1000 m3) Source : EOS

Le casse-tête sino-russe

Pendant son intervention, Maria Kiefer-Polz a également souligné que cette situation déjà difficile est aggravée par l’augmentation des exportations de grumes de chêne européen en Asie, notamment vers le marché chinois. Avec l’embargo sur l’exportation des grumes et des sciages frais décidé par la Russie « pour préserver la souveraineté nationale de son industrie » et l’interdiction de la récolte de chêne instaurée par la Chine sur son territoire pour 99 ans, le chêne européen est de plus en plus sollicité par Pékin. Il faut rappeler qu’avant l’embargo les exportations de bois russes représentaient 20 % du commerce mondial de grumes et 70 % de ces bois partaient en Chine. Sur le total des importations chinoises de grumes de chêne de 1,35 million de mètres cubes en 2021, 52 % provenaient de l’Union européenne. Et le rythme s’accélère. Si en 2020 la Chine a importé 561 000 m3 de grumes de chêne européen, en 2021 le chiffre est monté à 702 000 m3. Au cours des 9 premiers mois de 2022, ces importations ont atteint 689 000 m3, soit une augmentation de 30 % par rapport à la même période en 2021. Selon David Chavot, directeur de la scierie Margaritelli Fontaines, il est nécessaire de mettre en place des mesures urgentes pour arrêter cette fuite de matière première : « Aujourd’hui, 30 % du chêne récolté dans l’Hexagone est exporté en Asie, principalement en Chine, sans apporter de valeur ajoutée en France. Cela implique que les scieries de chêne travaillent en réalité à 80 % de leurs capacités. » Ce contexte a évidemment changé la donne sur le marché européen. Comme l’a rappelé Ad Wesselink, président de la commission des bois feuillus au sein de la Fédération européenne du commerce du bois (ETTF), avec des approvisionnements domestiques en bois feuillus sous pression et une forte demande du côté des consommateurs, les importations européennes de bois feuillus sciés ont considérablement augmenté en 2021 et au premier semestre 2022. En 2021, l’UE27 et le Royaume-Uni ont importé 2,2 millions de mètres cubes (+ 13 % par rapport à 2020). Pendant les six premiers mois de 2022, ces importations étaient de 1,15 million de mètres cubes (une augmentation de 6 %). La croissance des importations de bois feuillus tropicaux sciés a été particulièrement forte. Selon Ad Wesselink, l’arrêt des importations en provenance de Russie et de Biélorussie a provoqué un manque d’environ 22 tonnes de chêne sur le marché de l’UE27 et du Royaume-Uni. Cette situation, combinée à l’augmentation des coûts logistiques et énergétiques, a entraîné une forte hausse des prix.

Évolution de la production de sciages de bois feuillus en Europe 2017/2022 (estimations) (pays membres d’EOS + Italie + Royaume-Uni) Volumes sciages (x 1000 m3) Source : EOS

Du côté de l’Amérique du Nord Michael Snow, le directeur de l’American Hardwood Export Council (AHEC), a fait une présentation du point de vue des producteurs nord-américains, avec un focus sur la situation économique en Chine qui reste toujours le plus grand marché pour les exportations américaines de bois feuillus. Cependant, depuis 2017, ces ventes déclinent, ce qui, selon Michael Snow, est le résultat d’un ralentissement qui touche l’économie de ce pays au même titre que l’économie mondiale. En 2022, le PIB de la Chine ne croît que de 3 % et le nombre de mises en chantier de logements est en baisse de 38 % par rapport à l’année précédente. Rien qu’en 2019, les exportations américaines de grumes et de bois d’œuvre ont chuté de 1,25 milliard de dollars. Cette baisse (88 %) représente pour les producteurs l’équivalent d’une perte totale des ventes de grumes et de bois d’œuvre au Mexique, au Japon, au Vietnam et à l’Europe. En revanche, les exportations de bois d’œuvre américain vers l’Europe ont augmenté au cours du premier semestre 2022, notamment vers le Royaume-Uni. C’est le chêne rouge d’Amérique qui est particulièrement demandé par les clients en Europe, à cause notamment de son prix attractif en comparaison avec celui du chêne européen. Quid de la ressource ?

Évolution de la production de sciages de bois feuillus en Europe 2017/2022 (estimations) (pays membres d’EOS + Italie + Royaume-Uni) Volumes sciages (x 1000 m3) Source : EOS

Selon Aymeric Albert, directeur commercial à l’Office national des forêts (ONF), la baisse de la disponibilité de grumes de feuillus en Europe n’est pas liée uniquement au contexte géopolitique. Il faut également prendre en compte des changements majeurs à long terme dans les ressources forestières, dus principalement au réchauffement climatique. Ainsi, sur une période de cinq ans entre 2017 et 2021, le volume total de récolte de feuillus sains dans les forêts françaises a diminué de 7,8 à 6,6 millions de mètres cubes, tandis que le volume de récolte de bois endommagés a augmenté de 433 000 m3. Les dommages causés aux peuplements de feuillus sont en grande partie attribués au changement climatique qui entraîne des sécheresses rendant les arbres plus vulnérables aux dommages causés par les insectes et conduisant à des incendies de forêt plus fréquents. Le volume total de chênes sur pied aptes à être récoltés dans les forêts publiques françaises a diminué de 2,5 millions de mètres cubes à la fin de 2017 à 2,1 millions de mètres cubes en octobre 2022. Au cours de la même période, le volume de chênes dépérissants est passé de 170 000 m3 à 330 000 m3. Pour le hêtre, on a constaté la même tendance avec la diminution du volume total de bois apte à être récolté dans les forêts publiques (2,9 millions de mètres cubes à la fin de 2017 et 2,5 millions de mètres cubes en octobre 2022) et l’augmentation du volume de bois dépérissant (de 155 000 m3 à 580 000 m3). Quant aux autres essences feuillues, le constat est similaire avec le dépérissement qui est passé de 283 000 m3 en

2018 à 602 000 m3 en 2021. Face à ces statistiques, il est nécessaire de mettre en place une politique forestière qui vise l’accroissement de la stabilité des peuplements dans le temps. L’objectif est de s’appuyer, dans la mesure du possible, sur une régénération naturelle renforcée, tout en introduisant de nouvelles espèces pour accroître la résilience des forêts. En terminant sa présentation, le directeur commercial de l’ONF a déclaré qu’une baisse de la disponibilité du bois des forêts françaises, tant en termes de quantité que de qualité, deviendra la norme et que la filière bois devra s’y adapter.

Et demain ?

Si certains constats présentés pendant la conférence ne sont pas réjouissants, la plupart des intervenants soulignent que les industries du bois feuillus peuvent bénéficier de l’image très positive du matériau bois auprès des décideurs politiques et des consommateurs européens. Il est en revanche évident que le secteur doit trouver de nouveaux marchés et de nouvelles opportunités. Certaines essences de bois feuillus sont sous-utilisées, et les forêts fourniront potentiellement plus d’espèces qui sont actuellement « mineures ». La recherche et le développement des normes pour de nouvelles applications des produits en bois feuillus seront donc essentiels pour le secteur dans les années à venir.

Cet article est extrait de Wood Surfer n°130 > Découvrir le numéro en intégralité <