À Gentilly (94), l’ensemble immobilier « Six Degrés » s’impose comme projet pilote cumulant des innovations aussi bien en termes de méthodes de construction bas carbone que sur le plan de l’économie circulaire et de la sobriété énergétique. Avec un site en pente, le chantier a demandé l’emploi de techniques spécifiques et notamment une préfabrication poussée pour les structures et planchers en bois, ainsi que pour les façades en béton.

Conçu pour le compte de Scor Investment Partners, société de gestion d’actifs du groupe Scor, et livré en mai dernier, l’écocampus est posé sur le flanc sud de la vallée de la Bièvre, entre Le Kremlin-Bicêtre, l’autoroute A6B, le centre-ville de Gentilly et le jardin Picasso. Le concours, lancé en 2016, a été remporté par l’équipe Hardel – Le Bihan Architectes, Alain Barthe Architecture (architecte associé) et Philippe Niez Studio (paysagiste). Occupée précédemment par les laboratoires Sanofi, la parcelle était un îlot autarcique, « autonome », sans relations avec les paysages alentour. Le nouveau projet propose un dialogue urbain permettant de relier les parties haute et basse de la ville. Le site de la parcelle présente un dénivelé de six degrés (d’où le nom de l’opération) avec une différence de 11 m entre la partie haute et la partie basse. L’ensemble immobilier offre 39 000 m2 de bureaux et services et plus de 400 places de stationnement pour accueillir 2 900 personnes au sein de trois bâtiments reliés entre eux par des bâtiments-ponts qui sont à la fois des passerelles de liaison et de larges plateaux de bureaux offrant des vues spectaculaires sur le paysage.
« Le projet est conçu de manière à permettre une divisibilité, de 1 à 30 preneurs, expliquent les architectes Cyrille Le Bihan et Mathurin Hardel. Les usagers des bureaux pourront cohabiter, accéder de manière indépendante à leur lieu de travail, tout en disposant d’espaces communs facilement accessibles, clairement identifiés et à l’échelle de cette petite cité. » Parmi les services d’accompagnement, on peut citer trois commerces dont une brasserie, une crèche de 30 berceaux, une salle de conférences de 200 places, un business center de 1 000 m2 au centre du projet, un restaurant interentreprises (1 200 places), un espace de fitness, un espace Wellness. « D’un point de vue urbain, l’écocampus est caractérisé par sa clarté volumétrique et sa cohérence, précisent les architectes. Ses trois bâtiments sont composés de cinq volumes qui se distinguent par leur trame, leur couleur et leur hauteur de manière à s’intégrer parfaitement au quartier. »

Immobilier durable : matériaux et méthodes
Huit ans ont été nécessaires pour élaborer le projet et le réaliser. Une dizaine d’architectes et une trentaine de spécialistes dans les différents bureaux d’études ont été mobilisés. Quand l’entreprise Bouygues Bâtiment Île-de-France Construction a rejoint l’équipe en 2021, l’avant-projet a été modifié pour améliorer encore plus le bilan carbone de l’opération. C’est à ce moment-là qu’il a été décidé d’introduire plus de bois aussi bien dans la superstructure que dans la partie agencement. Le principe « bon matériau au bon endroit » a été particulièrement suivi.
Ainsi, outre l’infrastructure et les étages bas de superstructure qui sont réalisés en béton, car ils participent au butonnage de la colline, l’essentiel de l’ossature des bâtiments et des planchers est en bois. La charpente métallique a été mise en place dans les endroits soumis à des efforts conséquents, notamment sous le bâtiment-pont ou pour les triples hauteurs du hall R+4. Le chantier a par ailleurs constitué un véritable défi du point de vue géotechnique, avec un panel de solutions adaptées à chaque situation : parois moulées, parois parisiennes, voiles par passe, 450 pieux de fondation ou encore 4 km de tirants d’ancrage. Concernant la partie bois, le constructeur a décidé d’industrialiser au maximum le process pour simplifier la mise en œuvre des éléments préfabriqués sur le chantier. L’entreprise Weisrock Vosges SAS, fournisseur de poteaux-poutres en lamellé-collé,
a installé toutes les ferrures en usine.
Le colisage a été organisé en fonction des cycles du chantier. Les compagnons de Bouygues Bâtiment Île-de-France Construction ayant suivi auparavant une formation de monteur en bois, il n’a pas été nécessaire de faire appel à la sous-traitance pour cette partie du chantier, ce qui a considérablement facilité l’organisation du travail. Les panneaux CLT pour les planchers, également préfabriqués, ont été fournis par Stora Enso.
Outre la partie bois, le principe de la préfabrication poussée a été appliqué aux façades en béton. Structurellement, ces façades sont autoportantes. Elles accompagnent les systèmes des bâtiments eux-mêmes, avec leurs tolérances spécifiques : poteaux-poutres et plancher béton dans les parties inférieures et poteaux-poutres BLC et planchers CLT au-dessus. Le recours à l’industrialisation et à la préfabrication concernait également les lots techniques : tuyauterie du local technique et de distribution, régulation des terminaux… Cette façon de procéder a permis une réduction de 70 % des déchets et l’optimisation des délais des travaux, parfois réduits de moitié. Le chantier a par ailleurs permis d’expérimenter et de pousser la démarche du réemploi dans toutes ses composantes (sanitaires, faux planchers, dalles de moquette, câbles, bouches VMC, disjoncteurs…).


Sobriété et mixité de matériaux pour les intérieurs
L’agence Alain Barthe Architecture a conçu en phase études, puis coordonné en phase travaux, l’ensemble du second œuvre et des espaces décorés de l’opération. Le défi ? Traiter tous les espaces intérieurs, aussi divers soient-ils, avec la même justesse, et en harmonie avec l’architecture générale. Mot d’ordre ? Sobriété.
Les études ont mis en évidence l’intérêt d’augmenter la part de bois également dans l’agencement où il s’accorde parfaitement aux autres matériaux. « Pour les parties nobles d’accueil et de circulation (agoras, paliers d’étages…), le béton brut a été privilégié, simplement protégé par des lasures transparentes, afin de valoriser la noblesse de ce matériau associé au bois naturel, et éviter tout “habillage” superflu, explique Alain Barthe. Dans les différents univers, les tonalités retenues sont naturelles et apaisantes. Pour la faïence et les murs, elles amènent des teintes parfois pastel, parfois vivement colorées, en dialogue avec le bois, le béton et le grès cérame. […] En cours de chantier, plusieurs versions de décoration du restaurant interentreprises ont été élaborées, jusqu’à la version décoration complète des espaces (teinture, boiseries, mobiliers, miroirs…). Le maître d’ouvrage n’a gardé qu’une partie du projet afin de laisser ouverte l’appropriation aux futurs preneurs, et éviter tout gaspillage dû à une reprise de décoration à terme. Néanmoins, les espaces principaux tels que les agoras, gradins ou le scramble ont été traités avec soin, et le dessin du mobilier d’intégration des espaces de restauration a été réalisé : food-trucks, café snacking, daily self…Une attention particulière a été portée aux détails et aux ambiances pour ces espaces. Ce travail a été adapté en phase d’étude avec notre partenaire d’études cuisiniste et l’entreprise générale avec ses entreprises sous-traitantes, cuisiniste et menuisiers, notamment. »


Aspect énergétique
Alors que l’association BBCA (Association pour le développement du bâtiment bas carbone) observe que 50 % de l’empreinte carbone d’un bâtiment neuf sur 50 ans provient des lots techniques et des énergies, l’opération « Six Degrés » a mis en place plusieurs dispositifs pour accroître sa sobriété énergétique : installation d’un groupe de froid à paliers, optimisation du positionnement des sondes de pression des CTA (centrales de traitement d’air)…Le raccordement au réseau de chaleur urbain assurera au bâtiment une chaleur provenant à 80 % d’énergie renouvelable, notamment géothermique.
- Maîtrise d’ouvrage : Scor Investment Partners, Theop (maître d’ouvrage délégué)
- Maîtrise d’œuvre : Hardel – Le Bihan Architectes, Alain Barthe Architecture (architecte associé), Philippe Niez Studio (paysagiste)
- Équipe : EVP (structure), Egis (fluides, VRC, BIM manager), Elioth (façades), Lasa (acoustique), CC Ingénierie (BET ascenseurs), Michel Gaury (cuisiniste), GV Ingénierie (économiste), Bâtir Conseil (BET, AMO certifications environnementales), Calq (MOEx)
- Entreprises : Bouygues Bâtiment Île-de-France Construction privée, Bouygues Énergies & Services (Equans France)
- Certifications : HQE Bâtiment durable niveau Excellent, BREEAM niveau Excellent, E2C1, Osmoz, Wiredscore Gold, Bâtiment biosourcé, Biodivercity, BBCA
- Photos : Schnepp Renou
Cet article est extrait de Wood Surfer n°138, disponible en version numérique