Le Forum Bois Construction et son contraire

La 12e édition du congrès annuel des spécialistes français et internationaux de la construction bois et biosourcée vient en terre de mission à Lille (12 au 14 avril 2023), en visant Bruxelles, et découvre avec le Grand Palais un environnement particulièrement adapté à son envergure contradictoire.

Au campus TUM à Munich, des poutres en Baubuche de Pollmeier assurent le porte-à-faux (Atelier A2). Photo : Aldo Amoretti
Chantier-école d’Arpajon, nouvelle approche pour la sensibilisation et le recrutement de la filière de construction biosourcée. Photo : Corentin Desmichelle

Chaque année, les organisateurs ont le plus grand mal à faire tenir le programme dans une grille préétablie par les éditions précédentes. Les principes généraux du cadrage sont maintenus : sessions inaugurales et visites le premier jour, puis dîner d’ouverture, plénière d’ouverture le lendemain avec dans la foulée neuf ateliers parallèles, puis soirée « Prix et Hommages » avant le dîner de gala. Puis la grosse journée du vendredi avec neuf ateliers plus la clôture en bouquet final. Un espace convivial, des expositions, un totem, une table de reboisement pour replanter une parcelle estampillée « 12e Forum Bois Construction », au pied de Notre-Dame-de-Lorette. Les gens « importants » ne restent pas 3 jours et pourtant le programme ne cesse de s’étoffer et la démarche responsable invite à ne pas faire des allers-retours journaliers incessants, même en train. De fait, la perspective durable du Forum vise à le rallonger autant qu’à l’ouvrir au grand public local qui n’est pas fait de familles avec poussettes, mais surtout du second ban des acteurs régionaux impliqués dans la construction, mais encore prospects ou circonspects. Cette ouverture au grand public correspond à une demande des professions biosourcées dans l’urgence de recruter, et prolonge les activités publiques de réalisation de Totem avec les Compagnons du Devoir, telles qu’on les connaît depuis 2015. De même, les visites traditionnellement organisées par Fibois prennent une dimension pédagogique et il n’est pas impossible que l’édition 2023 du Forum soit précédée par une première équipée de visites sur toute la journée du 11 avril. Poisson d’avril ?

Avec le bâtiment provisoire pour la Sûreté publique de la principauté de Monaco, Ossabois et Simonin font entrer le modulaire 3D dans l’ère du montage réversible. Photo : Ossabois

Régional ou européen ?

Il n’y a jamais eu de Forum Bois Construction dans les Hauts-de-France, ni quoi que ce soit d’approchant. Les interlocuteurs ont du mal à réaliser ce que ce congrès veut dire et comment l’exploiter. Beaune, Dijon, Besançon, Lyon, Nancy, Épinal, Paris : chaque fois, le Forum a eu lieu sur des terres de la construction bois, ce qui n’est pas vraiment le cas des Hauts-de-France, du moins dans les mêmes proportions. Les organisateurs n’en prennent pas moins une nouvelle fois en compte autant qu’ils peuvent les spécificités régionales, les réalisations phares. D’un autre côté, Lille est à deux pas de la frontière belge, donc du Benelux, donc de Bruxelles aussi. Jamais un Forum Bois Construction n’a été organisé si près de Bruxelles. Associés comme ils sont de fait à la Wallonie pour le marché biosourcé, les Hauts-de-France rivalisent largement avec les régions Grand-Est ou Auvergne-Rhône-Alpes. Le Benelux apporte un savoir-faire dans l’aménagement extérieur, une sensibilité à l’économie circulaire et une économie riche qui se prolonge vers le domaine germanophone. Les ateliers types du Forum – avec 4 interventions de 20 minutes, dont cinq de questions à la mode de Stéphane Cochet, l’animateur des conférences « L’architecture sort du bois » – comprennent idéalement un projet local et un projet européen.

Construire avec du bois peu transformé ? C’est la griffe de Studiolada depuis le début et les derniers chantiers à Saint-Dizier, Liffol-le-Grand ou Nancy en apportent des déclinaisons toujours nouvelles. Photo : Studiolada

Institutionnel ou autogéré ?

Traditionnellement, le Forum fédère tout le monde. Les organisations institutionnelles de la filière bois et si possible biosourcée sont consultées, mais le programme est bâti à partir d’un appel à projets général qui a permis de recueillir cette année des informations sur 280 projets actuels. De sorte que les définitions des ateliers sont en principe inductives, comme c’est le cas pour le thème lillois des passerelles ou des chapiteaux. Compte tenu de l’effort des participants à l’appel à projets et de celui de l’analyse consécutive, les ateliers sont là pour y placer un maximum de réalisations. Mais la réalité est un peu différente. Des considérations d’actualité poussent à prévoir des ateliers comme celui dédié à la responsabilité élargie du producteur et au réemploi (entrée en service effective deux semaines après le Forum) ou à la paille (1er congrès national de la construction paille en février 2023). L’imminence plus ou moins possible d’une refonte de la réglementation incendie invite à reprogrammer un nouvel atelier dédié en avril, évidemment sans bons exemples. En conséquence, les institutions prennent parfois la main et portent leur propre message.

Le plus gros chantier de réemploi de Belgique, avec surélévation et insertion de planchers bois : tour Brunfaut (Atelier A4). Photo : François Lichtlé
Le lycée Gergovie à Clermont-Ferrand (63), le plus grand chantier paille du monde pour un exceptionnel E4C2 avec utilisation magistrale du Douglas. Photo : Joël Damase / CRR

Corporate ou frugal ?

Les exposants souvent regroupés dans les réseaux des Forums Bois Construction européens appuient massivement le congrès français et lui permettent d’exister. Les acteurs et visiteurs aussi, car s’ils se détournaient, le congrès perdrait son sens. Le clivage entre les prescripteurs du biosourcé et l’industrie a toujours été présent, mais devient de plus en plus manifeste. D’un côté, des multinationales qui évoluent vers la fourniture d’ouvrages complets comme une tour de 12 étages actuellement livrée en direct en Suède ; des constructions de méga-usines, notamment en Allemagne et en Grande-Bretagne, pour livrer en masse des éléments préfabriqués. De l’autre, en croissance permanente, un tissu d’acteurs particulièrement conscients de l’urgence climatique et qui essaient de réinventer des métiers que les émissions colossales de GES devraient tout simplement supprimer. Si l’on ajoute l’implication unique et enthousiaste de la Guyane dans cette édition nordiste, le Forum assume des contradictions et antagonismes qui en feront peut-être toute sa richesse.   Jonas Tophoven

Cet article est extrait de Wood Surfer n°130 > Découvrir le numéro en intégralité <