Le numérique brise les frontières du réel

 Aide à la vente, le rendu photoréaliste a vu le jour grâce au développement des jeux vidéo.
Doc. : Agence Voxel Lab’

Des projets conçus sur écran dans leurs moindres détails, des bâtiments capturés au millimètre près et des clients qui se promènent virtuellement dans leurs projets d’aménagement, ce n’est plus de la science-fiction. Comme la plupart des secteurs, les métiers de l’agencement sont en pleine mutation numérique.

« En 2012, nous étions encore 100 % artisanaux. J’ai commencé par investir dans un logiciel de CAO pour pouvoir présenter les projets illustrés à mes clients, puis j’ai numérisé une partie de la production et constitué un bureau d’études qui dessine et effectue la programmation des machines », témoigne Loïc Gaden, cogérant de Carriage, entreprise spécialisée dans l’aménagement sur mesure de véhicules. Comme lui, de nombreux professionnels de l’agencement ont radicalement transformé leur façon de travailler ces dix dernières années. Jusqu’alors réticents, ils se sont laissé convaincre par les avancées spectaculaires des technologies, les prises en main plus intuitives des logiciels, des coûts plus attractifs et surtout les atouts réels apportés en termes de productivité. Les logiciels métiers dans le domaine du bois sont relativement récents. Jusque dans les années 2000, il n’existait que quelques logiciels de dessin comme Autocad et de gros logiciels d’ingénierie 3D comme SolidWorks, qui ne répondaient pas aux problématiques spécifiques de conception et de production pour le bois. Désormais, le marché comprend d’une part les logiciels de modélisation en 3D classiques, des outils devenus indispensables qui permettent de présenter rapidement une version de son projet, et d’autre part les logiciels métiers. Ces derniers gèrent l’ensemble des étapes, de la conception à la production. La partie création offre une grande liberté et se simplifie grâce à des bibliothèques d’éléments paramétriques et des fichiers de clients partenaires. « Une fois la conception achevée, toutes les tâches pénibles sont automatisées. En quelques minutes, le projet est analysé, les pièces numérotées et mises en plan. Vient ensuite le reporting des éléments à commander comme la quincaillerie, la partie production et la partie imbrication qui analyse comment placer les pièces dans une plaque pour optimiser la gestion des chutes », détaille Olivier Esposito, assistant produits métier bois chez TopSolid. Tout l’enjeu de ces logiciels est d’alimenter le plus rapidement possible les machines numériques afin de les rentabiliser.

 Les logiciels de conception 3D possèdent de nombreux catalogues d’objets en trois dimensions et de textures pour des présentations clients réalistes.
Doc : A-Doc – SketchArtisan
 Perçu auparavant comme un gadget destiné au monde des jeux vidéo, le casque de réalité virtuelle permet aujourd’hui d’immerger le client dans son futur projet.
Photo : META Quest2
 À la différence des logiciels de modélisation en 3D simples, les logiciels métiers créent une forme en 3D plus proche de la réalité, avec ses caractéristiques physiques (masse, volume, débits, dimensions…).
Doc. : Swood-Eficad
 Ce jumeau numérique en trois dimensions de la tour Saint-Nicolas, à La Rochelle, est obtenu en un temps record grâce à un procédé de photogrammétrie.
Doc. : VR interactive – Matterport

Simplifier les captures

Pour accompagner ces évolutions, d’autres outils ont vu le jour. Scan 3D par photogrammétrie ou technologie laser, la capture de la réalité simplifie, fiabilise et accélère le relevé de cotes sur le terrain. En rénovation, c’est aussi un énorme gain de temps. C’est la certitude, une fois revenu au bureau, de ne pas avoir besoin de revenir sur le chantier pour vérifier des détails ou certaines mesures. Les outils de capture de l’existant sont très simples à utiliser. Cette tâche peut ainsi être dévolue au commercial pendant sa prévisite, ce qui limite fortement les déplacements sur le terrain. « De plus en plus d’entreprises d’agencement disposent désormais de toutes les compétences et de tous les équipements en interne pour réaliser rapidement les métrés et rentrer le plus rapidement possible dans la conception et la fabrication », analyse Frédéric Gomes, responsable de marché pour les solutions numériques de relevé dans le bâtiment chez Leica Geosystems. Cette numérisation de l’existant trouve aussi des applications à l’atelier. « Nous sommes équipés d’un stylo numérique pour faire les relevés numériques dans les véhicules. L’autre atout de cette solution, c’est de ne plus avoir besoin de conserver les gabarits qui prennent une place folle. Désormais, tout ce qui est créé dans l’atelier est numérisé et tout ce qui est dessiné est usinable dans l’atelier. Nous n’avons plus vraiment de limites », se félicite Loïc Gaden.

 Entre répétitions et sur-mesure, l’aménagement haut de gamme de véhicules gagne en rapidité et en précision grâce aux outils numériques.
Doc. : Carriage

L’atout séduction du rendu photoréaliste

Après avoir développé les fonctionnalités métiers, les logiciels évoluent pour séduire le client final. Grâce à un casque de réalité virtuelle, il peut déjà participer à la conception du projet et vérifier les mouvements des éléments : ouvrir une porte, vérifier s’il faut se baisser. Mais le rendu photoréaliste ou les solutions comme la réalité virtuelle peinent encore à convaincre les professionnels qui estiment que le temps passé est trop important au vu des bénéfices. Ils réservent ces techniques à des dossiers particuliers, ou font payer ces prestations à leurs clients. Les choses devraient cependant évoluer rapidement dans ce domaine. La partie VR prendra une part de plus en plus importante dans les logiciels et les solutions de demain. « Nous investissons lourdement en R&D pour développer tant le rendu photoréaliste en temps réel que l’image fixe, confie Olivier Esposito de TopSolid. Nous serons bientôt capables d’apporter des technologies comme la VR, la réalité augmentée. Nos regards se portent déjà sur les potentiels offerts par l’IA (intelligence artificielle) même si cela reste encore un peu de la science-fiction. » Mais est-ce la fin de la menuiserie pure ? Ce n’est pas comme cela que le cogérant de Carriage voit les choses ! « Je pensais que nous allions tout numériser. Mais on se rend compte qu’il y a un équilibre à trouver entre le tout numérique et le savoir-faire du menuisier à l’atelier. La grosse partie intégration, qui nécessite beaucoup de sur-mesure, reste. Finalement, cela permet de se concentrer sur les parties les plus intéressantes. »

 Aurélie Cheyssial

Cet article est extrait de WoodSurfer 129 disponible sur calameo.