L’Europe du biosourcé

Après « la neutralité carbone » en 2022 à Épinal et Nancy, c’est à Lille que la 12e édition du Forum Bois Construction mettra l’accent du 12 au 14 avril 2023 sur l’Europe et le biosourcé. Une nouvelle fois, il s’agit d’un mot d’ordre prémonitoire.

L’an dernier, le Forum avait voulu creuser l’idée de la compensation carbone comme horizon pour atteindre la neutralité carbone de projets de construction vertueux. En d’autres termes, je construis local, frugal et biosourcé et je réduis au maximum l’empreinte carbone de ma construction, et je gomme symboliquement le solde en replantant des arbres selon un ratio à trouver. Il s’agissait de voir si la filière était en mesure de transposer la démarche d’écoconception de la manifestation créditée de 49 tonnes d’émissions et plantant 2 000 arbres au prix de 6 euros TTC le plant, via la fondation Plantons pour l’avenir. Une opération immobilière était en cours avec REI Habitat à Nantes, mais le mode de compensation n’était pas validé par le label « bas carbone ». L’association BBCA avait développé une option dans ce sens, mais attendait la validation officielle. À l’époque, la crainte était grande de voir des opérations non vertueuses compenser le carbone par des replantations dont le profit carbone ne peut se compter qu’en dizaine d’années. Alors que, en Allemagne, une initiative de la fédération de l’industrie du bois offrait des possibilités de compensation à tous crins, si bien qu’un industriel de l’ameublement après l’autre se déclarait neutre en carbone, en investissant par exemple dans l’éolien…

« L’épopée du Stent », atelier parallèle sur la construction et l’aménagement en bois peu transformé, atelier A5, vendredi 14 avril, Lille.
Photo : Archipente

Nouvelles (vieilles ?) règles du jeu

En France, début 2023, un décret a interdit de se prévaloir de cette neutralité hypothétique, enjoignant de parler de « participation à la neutralité carbone » dans le meilleur des cas. Désormais, le focus s’est déplacé de la compensation résiduelle des émissions de construction à la valorisation des crédits carbone. Il est probable que la tenue du Forum coïncide avec un décret précisant les modalités selon lesquelles la construction en matériaux biosourcés et réemployés, comparée à la construction traditionnelle, donnerait lieu à la création de crédits carbone. Cela risque de couper l’herbe sous le pied à Philippe Madec et son initiative visant à réduire la TVA pour les produits bio/géosourcés. Il est possible qu’un bailleur social choisisse de bâtir ou de rénover en biosourcé et en retire une somme qui pourrait compenser une partie de son surcoût éventuel. C’est encore BBCA qui était à la manœuvre pour la rédaction de ce texte et il est encore trop tôt pour établir si cette compensation sera symbolique ou si elle aura une incidence sur le marché, voire si elle contribuera à diminuer les émissions de construction en France. En France, certes, mais, dans l’état actuel, la réglementation française est un laboratoire pour l’Europe. Le point de départ du cavalier seul français était la création d’une INIES différente et plus performante que la base européenne et contre la volonté de l’intégralité des autres pays membres. À l’époque, on se disait que le CSTB avait trouvé un nouveau moyen pour recréer sa chasse gardée française, mais, dans la situation actuelle, on peut voir les choses autrement. Car les réglementations portant sur la construction neuve sont toutes thermiques en Europe, dans le droit-fil de la première crise du pétrole il y a 50 ans. Pire, l’industrie de l’isolation qui s’est installée sur ces réglementations est lourdement émissive. De sorte que l’idée selon laquelle l’Europe devait imposer une sorte de neutralité carbone du parc immobilier européen à l’horizon 2050, en commençant par une sorte de neutralité carbone des constructions neuves à partir de 2030 et même avant pour certaines catégories de bâtiments, a convergé vers le vieux modèle d’une réglementation du neuf à énergie positive, comme cela était prévu pour 2020 dans le Plan climat européen. En 2031, la RE 2020 devrait atteindre un palier imposant plus ou moins le biosourcé en standard, tandis que le projet de loi européenne imaginé par la Commission et les ministres de l’Énergie de l’UE, et qui devrait prendre le dessus sur les règlements nationaux, se contenterait de l’énergie positive et pourrait détricoter les avancées françaises.

La Guyane, modèle de l’Europe biosourcée, session inaugurale 2.2, mercredi 12 avril, Lille.
Photo : Jacklyn Durrenberger – ONF

 

L’excellence française, fer de lance du biosourcé en Europe ?

On voit donc se profiler un match entre une France étonnamment biosourcée et le reste de l’Europe nettement à la traîne. Et on imagine les joutes pour définir le profit émissif du biosourcé, l’émergence de solutions traditionnelles relookées parvenant à faire mieux que le biosourcé… Dans ce match, à supposer que le gouvernement français veuille le mener, il y a des alliés : c’est l’Europe du biosourcé. La paille émerge partout où poussent des céréales, même si les Allemands adoreraient en faire de la bioénergie. Bien des pays ont plus de leçons à donner qu’à recevoir en termes d’utilisation de matériaux en cycle court, de réemploi, d’usage de terre crue. Pour autant, par son statut de puissance agricole et l’effervescence incontestable de la filière biosourcée actuelle, et par son environnement réglementaire particulier, la France peut peser sur les décisions européennes et donner un sens à la décarbonation du secteur du bâtiment. Malheureusement, pour l’heure, il semble que le message du Forum de Lille ne parvienne pas aux oreilles de Bruxelles. La filière bois en est seulement à réinvestir la capitale européenne pour contrer le travail de sape des ONG anglo-saxonnes. L’heure est au bashing de la biomasse, aux fantasmes de forêts primaires européennes, aux amalgames entre monoculture, perte de biodiversité, coupes rases, perte de carbone dans les sols. Même replanter est devenu un péché.

Le hall d’entrée de l’école agricole de Salez, exemple d’architecture frugale, heureuse et poétique, atelier A3, jeudi 13 avril, Lille.
Photo : Andy Senn Architekt

Cet écran polémique masque parfaitement l’enjeu de la décarbonation du secteur du bâtiment, qui contribue tout confondu à 40 % des émissions de gaz à effet de serre. Mais on peut parier que l’an prochain la situation aura évolué, ne serait-ce qu’à cause de l’état déplorable des forêts européennes, de l’impératif de sortir de la forêt les arbres dépérissants au lieu de les laisser pourrir sur pied et de faire ainsi basculer les forêts du statut de « puits de carbone » au statut d’« émettrices nettes », sans parler de l’augmentation abyssale des coûts énergétiques à l’usage des bâtiments. Dans ce sens, la 12e édition du Forum, de par son thème, est un moment de fondation.  

Jonas Tophoven

Cet article est extrait du magazine WoodSurfer n°131 disponible sur Calameo.