Construit au 93 rue de Clignancourt (Paris 18e) pour le compte d’Emmaüs Habitat, l’immeuble dessiné par l’agence d’architecture SOA est, selon ses concepteurs, « une interprétation contemporaine de l’élégance haussmannienne ». Le bois y joue un des rôles principaux.
L’îlot Clignancourt où se déroule le chantier est composé de quatre parts triangulaires s’étendant sur 1,6 hectare. Son histoire commence à la fin du 19e siècle lorsque l’architecte et promoteur immobilier Paul-Casimir Fouquiau achète ce terrain pour y construire des logements pour les ouvriers. Le quadruple îlot totalise 74 bâtiments. Il est créé pour démontrer la capacité de la libre entreprise à procurer un logement aux plus modestes. L’agence de Fouquiau veille à ce que le lotissement soit totalement homogène en dessinant des immeubles de cinq étages, plus un étage sous comble.
La parcelle où se déroule actuellement le chantier d’Emmaüs Habitat est la seule qui n’ait pas pu être achetée à l’époque par le promoteur immobilier et appartient à la commune de Paris. Au tournant du 20e siècle, la ville y fait construire un modeste hôtel de 35 chambres, « l’Hôtel du quartier neuf ». Après avoir acquis la parcelle, Emmaüs Habitat lance il y a trois ans un concours pour la construction d’un immeuble pouvant accueillir des logements pour ses compagnons et une salle de vente. C’est le projet de l’agence SOA qui est retenu.

L’immeuble abritera 44 logements et une salle de vente.
Doc. : Nicolas Amar
Éloge de la sobriété
Sur le plan constructif, les immeubles du lotissement sont bâtis en pierres massives à longueur libre, contrairement aux immeubles haussmanniens, plus prestigieux, où l’ensemble des pierres est appareillé selon les lignes régulières des ornementations sculptées. Ici, les pierres sont taillées à l’économie, leur appareillage est libre et ce sont simplement les engravures qui passent au premier plan.
« La sobriété qui émane de l’établissement Emmaüs et les objectifs de la ville de Paris en matière de construction écologique ont conduit notre choix vers un travail d’interprétation de l’immeuble haussmannien dans une version minimale et frugale, expliquent les architectes. Cette démarche s’inscrit dans une approche où l’économie de ressource dépasse le stade de performance pour devenir une expression architecturale nouvelle. »

Façade ossature bois côté cour.
Photo : Laurent Nguyen
Derrière la pierre, le bois
Les constructions haussmanniennes classiques se caractérisent par une façade sur rue en pierre porteuse, une façade sur cour en « tout-venant » (le plus souvent en brique et plâtre), des planchers en bois portés en rive et un noyau de contreventement, le tout en liaison sèche essentiellement. Dans son interprétation contemporaine de ce système, l’agence SOA reprend ces principes.
L’ossature bois de la façade arrière (FOB) est remplie de béton de chanvre. À l’intérieur, le mur est revêtu de plaques Fermacell. Les planchers en CLT de 13 cm d’épaisseur sont repris en rive sur la pierre, par une structure poteaux-poutres bois et par le noyau en béton. Les isolants sont biosourcés : laine de bois côté pierre et 26 cm de chanvre revêtus d’enduit chaux-sable côté cour.

Le montage d’un étage demandait 5,5 semaines de travail : 3 semaines pour la structure bois, une semaine et demie pour la pierre et une semaine pour le prémur.
Photo : Laurent Nguyen

La structure poteaux-poutres a été réalisée avec des bois du Jura et des Vosges.
Les planchers en CLT ont été fournis par Lignatec-KLH.
Photo : Laurent Nguyen
Organisation intérieure
À l’intérieur, les espaces sont organisés de façon à offrir les meilleurs outils possible aux membres de la communauté Emmaüs. Au rez-de-chaussée, la salle de vente propose un grand volume traversant comprenant un minimum d’éléments structurels pour faciliter son aménagement. Les locaux communs, situés principalement au premier étage, sont regroupés selon leurs usages : repas, salon, laverie, cuisine, réserve, économat, chambre de passage, sanitaires.
La grande salle pour prendre les repas est le lieu principal de rencontre et d’échange entre les compagnons. Comme la salle de vente au rez-de-chaussée, elle est traversante, entre la rue et la cour. Les 44 logements s’organisent autour d’une circulation centrale éclairée naturellement. L’ensemble des logements profite d’une salle d’eau et d’un placard intégré.

Structure bois poteaux-poutres et planchers CLT.
Doc. : SOA

Façade pierre et façade bois-chanvre.
Doc. : SOA
De la biodiversité en toiture
Au sommet de l’immeuble, le traditionnel toit en zinc laisse la place à une toiture plate. Celle-ci accueille un assemblage de poutres en bois partiellement rempli de terre végétale. Le but de l’opération : permettre à un grand nombre d’espèces de plantes et de petits organismes qui s’y nichent de se développer, dans les recoins, à l’abri ou, au contraire, en plein soleil.
Ce travail expérimental a été élaboré avec la participation de Florent Yvert, écologue, et d’Élodie Seguin, botaniste. Le projet leur servira d’observatoire aux hypothèses d’une architecture favorable à la biodiversité.

Pour ce chantier, le choix s’est porté sur le béton de chanvre coffré plutôt que projeté.
Photo : Anna Ader
Maîtrise d’ouvrage : Emmaüs Habitat
Maîtrise d’œuvre : SOA Architectes
Directeur de projet : Guillaume Née
BET : Sibat
Acoustique : Orfea
Entreprise bois : Rialland SARL
Surface : 1 230 m² SDP
Coût : 3,2 M€
Livraison : décembre 2024
Cet article est extrait du numéro 136 du magazine WoodSurfer disponible sur Calameo.