Quand la charpente se fait gradin

Construire une salle de spectacle pour seulement 2 000 euros du mètre carré, tel est le défi relevé et réussi par Compagnie Architecture ave Quai M à La Roche-sur-Yon (85). Une gageure permise par une architecture et un agencement bien pensés, bruts et minimalistes.

 Le socle en béton de Quai M est rythmé par un jeu de formes triangulaires et de volumes. Ce « plissé » est le fil conducteur graphique du projet.
Photos : David Fugère

Sorte d’origami de bois et de béton, Quai M, nouvelle salle de musiques actuelles (SMAC) de La Roche-sur-Yon, redonne vie à une ancienne friche ferroviaire à proximité de la gare. Une salle de spectacle de 874 places, un club de 198 places et cinq studios de répétition composent ce nouveau lieu culturel d’une superficie de 2 826 m2 répartis en trois niveaux. Des toits rouges plissés aux auvents triangulaires, en passant par les lignes du parvis ou la grande fresque de la façade orientée à l’est, des lignes graphiques, telles les ondes sonores, servent de fil rouge à la conception, intérieure comme extérieure. Spécialisés dans les lieux de culture, les architectes Chloé Bodart et Jules Eymard, fondateurs de Compagnie Architecture, ont appliqué ici tous les préceptes qui les caractérisent : un chantier ouvert, une conception à l’écoute de la maîtrise d’usage et une utilisation raisonnée des matériaux.

« Notre logique est de placer la bonne matière au bon endroit. Le choix du béton pour la conception des espaces de musique amplifiée (les deux salles de diffusion et les studios) s’est imposé car il permet d’obtenir l’affaiblissement acoustique nécessaire avec des épaisseurs normales et des coûts raisonnables », explique Jules Eymard. Du hall d’accueil très lumineux grâce à son grand mur-rideau bois/alu déployé sur deux niveaux au bar en passant par l’accueil, le second étage dédié aux artistes et aux personnels, ou les deux terrasses filantes, tous les autres lieux de vie sont en bois. Cette structure légère et chaleureuse, laissée apparente, tranche ainsi avec l’austérité du béton.

La grande salle est conçue comme une coque en béton, habillée par une charpente bois monumentale servant à la fois de structure et d’aménagement intérieur.

Une charpente deux en un

Au cœur de l’édifice, la grande salle de spectacle impose immédiatement sa singularité grâce à une charpente bois monumentale et multifonction en lamellé-collé d’épicéa laissée brute. Cette curieuse structure d’assemblages moisés, qui la font ressembler à un gigantesque mécanisme articulé, supporte à la fois la couverture et les poutres scéniques par de colossaux portiques. Elle se densifie ensuite pour devenir gradins, escaliers et passerelles techniques circulaires. L’ensemble se prolonge par deux avancées en balcon, à l’image des « poulaillers » des théâtres classiques. Surplombant une fosse gradinée de béton, l’ouvrage offre plusieurs niveaux d’assises, face à une scène fixe sur lambourde en bois de hêtre noir.

 Comme la grande salle, le club situé au premier étage joue avec le complexe acoustique pour s’offrir une esthétique originale.
 Dans les studios comme sur l’ensemble du bâtiment, l’objectif est de placer la bonne matière au bon endroit avec des produits simples, mis en valeur par une couleur, un dessin…

Des finitions minimalistes

En levant les yeux, le public découvre la géométrie de la couverture du bâtiment. Avec un mètre d’épaisseur, cette dernière est composée d’un complexe thermoacoustique Globalroof d’ArcelorMittal qui lui permet d’absorber directement les sons. « Nous cherchons toujours, pour des questions environnementales, à éviter les matériaux superflus, précise Jules Eymard. Les seules finitions visibles de cette salle composent le complexe acoustique, qui s’équilibre entre absorbant et réverbérant. » Toute la salle est ainsi tapissée de panneaux en fibres de bois noir mat Fibralith de Knauf pour l’absorption.

Ces derniers sont recouverts en partie basse d’un médium teinté dans la masse de couleur bleu intense, qui sert à la fois de protection, de décoration par une découpe rappelant les motifs et lignes en zigzags du bâtiment, et assure la réverbération indispensable à une bonne acoustique. Le minimalisme a également guidé le choix d’un dallage de béton lissé laissé brut pour l’ensemble des sols de l’édifice, avec un simple bouche-pores pour finition. Une solution qui permet aussi d’économiser entre 30 et 35 euros par mètre carré de chape et revêtements de sol.

Cette économie de matière est aussi une façon de répondre aux exigences en matière de sécurité incendie. Si cette question reste prépondérante en ERP, une bonne connaissance des produits et des réglementations ne doit pas restreindre le geste architectural. « Lorsque nous avons conçu ces gradins en charpente bois, nous savions qu’ils seraient considérés comme une mezzanine. Nous avions ainsi plus de liberté puisque cela évitait d’assurer la stabilité au feu de cet élément-là », explique l’architecte.

Le hall d’accueil, très lumineux grâce à une double hauteur entièrement vitrée, se déploie sur deux niveaux.
 Extension du hall et du bar de la mezzanine, la terrasse file le long du bâtiment sur la façade principale et le long des voies ferrées.

Isolés les uns des autres

Construit sur le même principe que la grande salle, le club installé au premier étage offre des dimensions réduites et une atmosphère plus intimiste. Le réverbérant est, ici, constitué de panneaux de contreplaqué en pin des Landes, peints en rouge. L’emploi de ce matériau économique, qui n’est classé que M3, nécessitait là encore une adaptation et une bonne connaissance de la réglementation puisque son usage en ERP n’est possible que s’il représente moins de 50 % des parois. Accessibles et autonomes, les studios de répétition, au rez-de-chaussée, se caractérisent par une couleur et une taille différentes afin de répondre aux besoins des artistes amateurs ou professionnels. Isolés phoniquement, ces espaces n’ont également pour finition qu’un jeu d’absorbant (fibre de bois au plafond et tissu tendu acoustique peu inflammable, Vibrasto de Texaa sur les parois) et de réverbérant (panneaux de bois Écopin vernis assurant la protection en bas). Afin de permettre une simultanéité d’usage, toutes les salles de diffusion sont des « boîtes dans la boîte ». Planchers, doublage acoustique entre les charpentes bois et le mur en béton, tout est désolidarisé des murs pour empêcher la transmission des vibrations par les parois. Les poteaux de la charpente reposent quant à eux sur un massif béton désolidarisé de la dalle par un joint.

Aurélie Cheyssial

Cet article est extrait du magazine WoodSurfer 134 disponible sur Calameo.