Retour chantiers – Grand auditorium de la maison de la Radio, Paris (75)

Partie 1 : Parti architectural

Le bâtiment de la maison de la Radio, situé dans le 16e arrondissement de Paris, a fêté son cinquantième anniversaire en 2013. Symbole de son renouveau, le grand auditorium, créé par AS.Architecture-Studio, a été inauguré en novembre 2014.

Photo : Luc Boegly

 

 

 

Conçue par l’architecte Henry Bernard, la maison de la Radio a été inaugurée en décembre 1963 par Charles de Gaulle. Elle accueille près d’un millier de bureaux et 61 studios d’enregistrement au sein d’une couronne de 500m de diamètre et d’une tour de 68m de hauteur. Située sur le site d’une ancienne usine à gaz dans le 16e arrondissement de Paris, elle sera le siège de l’ORTF d’abord, puis de Radio France. En 2003, la vétusté du bâtiment au regard notamment des normes incendie actuelles a poussé la préfecture de police à demander l’évacuation de la tour centrale. Ainsi, la décision a été prise de lancer une opération de restructuration : désamiantage complet, mise aux normes incendie, réalisation d’un parking souterrain, remplacement du parc de stationnement de surface par un jardin et, point d’orgue, création d’une salle symphonique de 1461 places. En 2005, la consultation internationale est remportée par AS.Architecture-Studio dont le projet préserve l’unicité du bâtiment au sein d’un espace paysager repensé. Les architectes se sont donné comme objectif le rapprochement de toutes les fonctions de l’édifice en créant et réorganisant les circulations ainsi que l’amélioration de la lisibilité des espaces tout en préservant l’image du bâtiment, exigence émise par l’architecte des Bâtiments de France. La cour de la première couronne accueille un nouvel espace fédérateur, l’agora, qui crée une nouvelle centralité. Cet espace ouvert est à la fois cafétéria, lieu d’exposition et studio radio ouvert. Il est relié au grand hall via la nef, nouvelle rue intérieure à laquelle s’ajoute quatre passerelles situées au cinquième étage. Celles-ci permettent les allers et venues entre la petite et la grande couronne. La tour est, quant à elle, réaménagée en espaces de travail. Elle abrite au dernier étage la salle du conseil qui profite d’un panorama parisien exceptionnel sur trois côtés. Le calendrier des travaux est fixé jusqu’en 2017, pour un chantier de 100000m2 qui se déroule en site occupé. Cette contrainte, importante, impose un phasage minutieux afin de maîtriser les nuisances acoustiques du chantier et permettre aux antennes de continuer d’émettre.

Plan du R + 1 Doc. : AS.Architecture-Studio
Photo : Luc Boegly, ADAGP, AS.Architecture-Studio

Salle symphonique

Pièce majeure du projet de restructuration, la nouvelle salle symphonique appelée grand auditorium de la maison de la Radio a une vocation internationale. Construite sur l’emprise des anciens studios 102 et 103, elle prend sa place au croisement de nouveaux espaces d’accueil et profite de vastes foyers vitrés qui embrassent la Seine toute proche. La salle utilise le principe de l’arena, lequel localise l’orchestre au centre du public. Cette typologie a été initiée lors du projet de la Philharmonie de Berlin par l’architecte Hans Scharoun et l’acousticien Lothar Cremer dans les années 1970. L’espace dégagé par la démolition des anciens studios est très contraint géométriquement et impose le développement d’une salle verticale fractionnée en plusieurs balcons d’une cinquantaine de places répartis en « vineyard », littéralement « vigne sur les coteaux ». Le parterre n’accueille ainsi qu’une quinzaine de rangs. Cette contrainte spatiale devient une qualité : la distance la plus grande entre les spectateurs et les musiciens étant de 17m, la salle offre ainsi la proximité de l’orchestre.

Habillage bois de la salle Photo : W. S.
Une salle très verticale Photo : Luc Boegly, ADAGP, AS.Architecture-Studio

Une acoustique remarquable

Faisant près de 19000m3, le grand auditorium a imposé la démolition de l’ancien plafond, créant une nouvelle voûte visible depuis l’extérieur. Dans l’axe de la salle trône l’orgue monumental conçu par Gerhard Grenzing. La voûte accueille le « canopy », un grand réflecteur acoustique en bois. Cette lentille ovoïde est située à 14,5m de hauteur, à l’aplomb de l’orchestre. En l’absence de mur de scène, elle apporte une correction acoustique, notamment par réflexion pour favoriser les échanges entre musiciens. Elle réfléchit également le son de manière équilibrée dans plusieurs directions vers le public. L’habillage de la salle, réalisé intégralement en bois, n’affiche aucune surface plane. Fait de lames de bois d’épaisseurs variées, il diffuse le son de manière homogène et dans toutes les directions.

La rue intérieure Photo : Luc Boegly, ADAGP, AS.Architecture-Studio
Le nouveau studio 104 Photo : Luc Boegly, ADAGP, AS.Architecture-Studio

Intervenants :

Programme :

  • Surface : 110000
  • Coût construction : 240M
  • Montant des travaux du grand auditorium : 35M HT

Calendrier :

  • Concours en 2005
  • Durée du chantier du grand auditorium :
  • 24 mois hors déconstruction
  • Livraison : 2017

Partie 2 : Étude et conception

Nagata Acoustics a la charge du design acoustique du grand auditorium. Le cabinet est reconnu et respecté dans le monde entier, notamment pour sa conception de salles de concerts de renom.

Photo : Luc Boegly, ADAGP, AS.Architecture-Studio

La salle a été conçue pour favoriser la circulation du son, notamment grâce au parement en bois des balcons ainsi qu’à des poly­cylindres situés à l’arrière des gradins, sur lesquels la musique « rebondit » de manière alternée. Tous ces dispositifs créent un ensemble non linéaire et désolidarisé extrêmement complexe qui a dû être modélisé aussi bien numériquement que physiquement à l’aide d’une maquette au 1/10. L’ensemble des parements en bois de la salle a été conçu de manière à atteindre les densités de 60kg/m2 pour les balcons et les polycylindres, et 120kg/m2 pour le plafond et le « canopy ». Afin de préserver le caractère chaleureux de la salle, AS.Architecture-Studio a choisi des essences de merisier, hêtre et bouleau. Le même soin a été accordé au choix du bois couvrant la scène : le Port Orford Cedar, bois très tendre, ici, non traité, a été retenu pour permettre à la scène de fonctionner comme une membrane qui contribue à diffuser le son, notamment des basses fréquences. L’ensemble des parquets est en chêne. Pour disposer d’une qualité d’écoute maximale, l’inclinaison des gradins a été validée  par Nagata Acoustics. Les trois niveaux de balcons sont réalisés en structures métalliques. La fixation des poutres en acier de la structure primaire est assurée par 140 inserts métalliques mis en place lors du coulage. Les sièges des spectateurs sont supportés par des dalots en béton de 90 x 250cm. L’efficience acoustique de la salle repose sur le principe de la « boîte dans la boîte » qui permet d’isoler la salle des nuisances extérieures. Ainsi, les murs de l’auditorium ne sont pas « liés » à ceux du bâtiment, et le plancher de la salle prend appui sur des longrines reposant elles-mêmes sur 190 boîtes à ressort. Leurs implantations et leurs réglages ont été conçus selon les différentes configurations de charges dans la salle : répétition ou salle pleine, équipements scénographiques divers… De même, le plancher de la scène de 15 x 20m, composé de 18 tables élévatrices, est indépendant du reste de la salle : les vibrations produites par le déplacement des spectateurs ne perturbe pas la captation du son par la trentaine de micros installés. En ce qui concerne la couverture, une double toiture ovoïde isole acoustiquement la salle selon le principe masse-ressort-masse. Un premier ensemble de charpentes métalliques qui repose sur deux poutres monumentales en béton soutient la couverture intérieure et supporte le « canopy ». Le clos et le couvert de la salle est assuré par un deuxième ensemble d’une portée maximale de 40m qui supporte une coque extérieure composée de 300 éléments en béton de 6cm d’épaisseur. Ces derniers sont clavetés, couverts d’une étanchéité, puis vêtus de cassettes en panneaux composites aluminium (Alucobond) posées sur des épines, lesquelles donnent à la surtoiture l’apparence d’une goutte d’eau.

Coupe transversale Doc. : AS.Architecture-Studio
Photo : Luc Boegly, ADAGP, AS.Architecture-Studio

Partie 3 : Réalisation

L’entreprise Spie SCGPM est responsable du gros œuvre du grand auditorium, tandis que la menuiserie intérieure est assurée par l’entreprise allemande Lindner.

Gros œuvre en cours de finition Photo : Gaston Bergeret
Mise en œuvre du plancher  Photo : W. S.

Cet important chantier de réhabilitation est mené en partie sur site occupé par 3 000 collaborateurs avec enregistrement d’émissions à la clé. Aussi la gestion des nuisances occasionnées par les travaux  (bruits, poussières, vibrations) est un défi quotidien, particulièrement au moment critique des démolitions, comme, par exemple, pour les anciens studios 102 et 103 réalisés en béton précontraint. Situé au cœur de la maison de la Radio, le chantier du grand auditorium a profité d’une grue à tour située sur l’emprise de la future nef. Lestée par un socle de 36 tonnes, elle a servi à l’approvisionnement, notamment pour la pose des éléments en béton préfabriqué de la toiture. Une structure de soutien a dû être mise en place lors de la pose de la charpente. Elle disposait de boîte à sable en tête pour permettre réglage et dépose aisés des étaiements. Le plancher bas de la coque intérieure de l’auditorium a aussi donné du fil à retordre à l’entreprise Spie SCGPM. En effet, elle a dû consacrer deux ans de calculs au réglage des 190 suspensions à ressort qui supportent la structure de la salle car il était difficile de connaître exactement l’ensemble des charges d’exploitation avant la pose des équipements. Ouvrage plus simple, la scène dispose également de boîtes cylindriques fournies par Gerb et placées sous sa dalle béton support. Il a été procédé au levage de celle-ci progressivement, selon un ordre établi, pour effectuer les réglages d’altimétries finaux.

Traitement de surface du plancher Photo : W. S.
Réalisation des habillages bois du haut vers le bas Photo : Stéphane Levy

Logistique et délais

Travaux prévus sur 9 ans :

Tranche 1 : Petite couronne – Tour IGH et studios moyens

Tranche 2 : Auditorium de 1 460 places – Studio 104

Tranche 3 : Grande couronne ERP (réaménagement de bureaux) – Studios 103 à 106

Tranche 4 : Grande couronne IGH (réaménagement de bureaux) – Studio 101 – Construction d’un bâtiment servant de nef

 

Entreprises

  • Spie SCGPM (structure auditorium et nef, gros œuvre, réhabilitation)
  • Smac (surtoiture auditorium)
  • Lindner (agencement menuiserie intérieure)
  • AMG Féchoz (scénographie et plafond canopy)
  • Inéo (éclairage, réseaux, scénographie)

Contrôle technique : Qualiconsult

Coordonnateur SPS : Apave

Ordonnancement, pilotage et coordination : Gemo

 

Le cahier a été réalisé par Bastien Lechevalier, architecte DPLG.

Cet article est extrait du magazine WoodSurfer n°85 disponible sur Kiosque21.