Installée dans la banlieue sud-ouest de Rouen, la société Cuiller était initialement spécialisée dans la charpente et la construction bois. Au fil du temps, elle a élargi ses compétences aux autres domaines. Une stratégie qui s’est avérée parfaitement adaptée aux besoins du marché.
L’histoire commence avec Séverin Cuiller, le grand-père de l’actuelle dirigeante de la société, Amélie Cuiller. Arrivé en Normandie en 1947, ce compagnon charpentier crée son entreprise en 1955. Elle sera reprise en 1971 par ses fils Jacques et Gilles qui proposeront une approche moderne du métier en se lançant dans l’industrialisation avec la fermette et l’ossature bois à partir des années 1980. Figurant parmi les précurseurs de cette technique de construction, l’entreprise Cuiller Frères participera à l’écriture du premier DTU 31.2.
« À l’époque, on était leader national tout en étant une entreprise locale, déclare Amélie Cuiller. Nous avons notamment travaillé avec des bailleurs sociaux et il a fallu s’organiser pour les accompagner de façon plus complète, jusqu’à des hors d’eau hors d’air : couverture, électricité, doublages, menuiseries extérieures… C’était une nouvelle technique que peu d’entreprises connaissaient. Il fallait une démarche en amont du chantier. » C’est ainsi qu’est né le département « menuiserie » réalisant des prestations de pose de menuiseries extérieures, de doublages et cloisonnement, de menuiseries intérieures, mais aussi de la réhabilitation, composé de menuisiers et de plaquistes-enduiseurs qui interviennent en atelier ou sur les chantiers. Dans les années 1995, Cuiller réalise plusieurs hôtels tout bois en R+2 en répondant en entreprise générale. Des savoir-faire qui se révéleront bien utiles pour affronter les fluctuations sur le marché de la construction.
« Lorsque j’ai pris la direction de l’entreprise en 2007 et que le secteur de la fermette a freiné en 2008-2009 suite à la crise des subprimes, nous avons pu pivoter vers plus d’ossature, plus de menuiserie, et plus de commande publique, explique la dirigeante de l’entreprise. Nos collaborateurs sont souvent polyvalents, ce qui nous a permis de développer fortement dans cette période le département “maintenance-entretien” en menuiserie de logements locatifs. Nous avons orienté nos équipes vers la prestation de services en répondant ainsi principalement aux demandes de bailleurs sociaux et de certaines collectivités comme les départements ou la Région. Et cela a très bien fonctionné ! »
École maternelle, école élémentaire, centre de loisirs, restaurant, salle de formation polyvalente…, le Pôle Léo-Lagrange, nouvel équipement public des Mureaux (78), figure parmi les plus importantes références chantier de l’entreprise Cuiller.
Projet : Harari Architectes.
Photos : Cuiller
Il y a une vingtaine d’années, les activités de l’entreprise se divisaient en deux parties : 50 % pour la charpente/ossature et 50 % pour la menuiserie. En 2023, sur le chiffre d’affaires global de 30 millions d’euros, la charpente/ossature représente environ 12 millions d’euros (40 %), la menuiserie entre 6 et 8 millions (25 %), le reste provient des activités de maintenance et d’entretien (30 %). Cette part relative des activités fluctue en fonction des évolutions réglementaires, fiscales, et de la dynamique de la construction neuve comparativement à la rénovation.
Construction d’une résidence seniors à Versailles, projet du groupe immobilier Acapace.
En charge du lot « charpente », Cuiller a posé les fermettes et les lucarnes réalisées dans ses ateliers.
Tradition et modernité
S’adapter rapidement à la demande du marché est décidément un des talents du constructeur normand. En réagissant à la crise dans le secteur de la maison individuelle, Cuiller se positionne sur le collectif et les bâtiments multiétages. Un secteur où, à part l’ossature bois, il faut également maîtriser d’autres techniques comme les panneaux massifs contrecollés ou la mixité bois-béton. Les références chantiers se multiplient ainsi que les collaborations avec des promoteurs privés qui commencent à s’intéresser à la construction bois. Il s’agit majoritairement du travail en corps d’état séparés, en tant que cotraitant, plus rarement comme sous-traitant. « Je dirais que notre entreprise est moderne dans la tradition ou traditionnelle dans la modernité », constate Amélie Cuiller.
L’entreprise a toujours été innovante, précurseur sur l’intégration de certaines techniques, et a misé sur l’automatisation de la production très tôt : presse pour la fabrication des fermettes, installation de sa première K2 au milieu des années 1990. Il s’agissait aussi d’améliorer les conditions de travail dans les ateliers et de limiter les temps d’intervention sur chantier.
Depuis, le parc machines a été complété et renouvelé à quelques reprises. Avec un bureau d’études composé de 10 personnes, avec l’intégration de la GPAO (gestion de la production assistée par ordinateur) et de la 3 D dès les années 1990, Cuiller est en mesure de répondre à pratiquement tous les appels d’offres. « Aujourd’hui, nous faisons des opérations très techniques où nous avons besoin d’ingénierie extérieure, mais il y a encore quelques années nous faisions toutes les études de nos projets en interne, précise Amélie Cuiller. On ne fabrique que ce que l’on a dessiné et on pose ce que l’on fabrique. »
Amélie Cuiller, directrice générale de la société Cuiller : « Il y a encore quatre ou cinq ans, il y avait un grand écart entre le coût du bois allemand et celui du bois français. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas. »
Précurseur un jour, précurseur toujours
L’entreprise s’engage également sur des projets expérimentaux comme le transport fluvial, en participant en 2019 à l’appel à manifestation d’intérêt (AMI) de l’Ademe. Menée en partenariat avec Manubois et Fibois Normandie, cette opération fait partie d’un programme plus large incluant le développement de la filière hêtre structurel. Convaincu de l’intérêt de cette démarche, le constructeur continue le partenariat avec Sogestran en testant dès 2021 la FlexiMalle, un nouveau conteneur conçu pour le transport fluvial d’éléments bois préfabriqués.
Par ailleurs, dans le domaine des marchés de bons de commande de la maintenance et de l’entretien, après avoir constaté les limites de l’ère « papier » et les possibilités liées au partage d’information, les équipes travaillent sur une plateforme collaborative d’échanges permettant de gérer les bons, leur intervention, l’information du rendez-vous au locataire et au bailleur ainsi que la facturation. C’est une idée de la dirigeante qui a donné lieu à la création d’une société et d’un produit : Nexxio.
Installés à Petit-Couronne et constitués de plusieurs bâtiments construits au fil des années, les ateliers sont équipés de toutes les machines nécessaires pour les différentes activités de l’entreprise.
Chargement de la FlexiMalle, conteneur destiné au transport fluvial d’éléments bois préfabriqués.
Vers le circuit court
Pendant longtemps, l’entreprise travaillait surtout avec quelques scieurs allemands qui lui proposaient des sections de bois correspondant aux besoins pour la fabrication de fermettes. Des partenariats de longue date, avec à la clé des commandes de gros volumes. « C’est seulement il y a trois ou quatre ans que nous avons commencé à recevoir des propositions de bois d’ossature venant de scieurs français, majoritairement vosgiens, explique notre interlocutrice. Petit à petit, la partie de bois français a commencé à augmenter. »
Aujourd’hui, le constructeur pose sur ses chantiers le lamellé-collé labellisé « Bois de France » fourni par Weisrock. L’approvisionnement en bois d’ossature se fait principalement auprès des établissements Gaiffe et de la coopérative Covobois. Les bardages ou les platelages proviennent souvent de la scierie Sefob/Gastebois.
« Il y a encore quatre ou cinq ans, il y avait un grand écart entre le coût du bois allemand et celui du bois français, rappelle Amélie Cuiller. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas et parfois on trouve du bois français à un prix plus avantageux. Nous étions intéressés par le circuit court et c’est seulement en déposant le dossier de candidature dans le cadre du plan France Relance que nous nous sommes rendu compte que sur certaines catégories on avait déjà 30 % de bois français et sur d’autres 100 %. » Ainsi, « sans faire exprès », l’entreprise Cuiller s’est retrouvée parmi les adhérents du label « Bois de France ». Une décision qui, selon la directrice de la société, s’est imposée naturellement en étant parfaitement adaptée à l’évolution de la demande du marché.
Anna Ader
Entreprise Cuiller
Siège : Petit-Couronne (Seine-Maritime)
Effectif : 180 salariés dont 10 au bureau d’études et 40 à la production
CA 2023 : 30 millions d’euros
Équipements :
• K2i et Speed-Cut de Hundegger / deux chaînes Weinmann + pont roulant / presses fermettes
• Scies à panneaux / centre d’usinage Homag
• Tracteurs / remorques
Cet article est extrait du numéro 136 du magazine WoodSurfer disponible sur Calameo.