Théâtre L’Île Ô, Lyon (69)

Photos : Scènes Ôtrement

Parti architectural

Le théâtre L’île Ô a ouvert ses portes en janvier 2023 sur les berges du Rhône à Lyon. Il ne s’agit ni plus ni moins que du premier théâtre flottant au monde.

L’association Patadôme, devenue Les Scènes Ôtrement avec l’ouverture de l’île Ô, est née à Irigny (Rhône) en 2004 à l’occasion de la création d’un théâtre privé de 110 places à l’architecture bois originale. Imaginé par Jean-Philippe Amy, metteur en scène et comédien, cet espace de diffusion à 360° renoue avec la tradition grecque du théâtre. Ce lieu unique avec son dôme de bois naturel formé de 4 500 sections de Douglas s’adresse particulièrement aux enfants et permet, grâce à ses dispositifs scéniques, de proposer aux spectateurs un rapport différent à chaque spectacle. C’est dans cet esprit que l’association a souhaité répondre à un appel à projet de Voies navigables de France (VNF), établissement public administratif qui assure notamment l’exploitation des voies navigables et gère une partie du domaine public fluvial de l’État. Dans ce cadre, VNF cherche à valoriser un important patrimoine immobilier composé de plans d’eau, de terrains ou de bâtiments pour lesquels il accorde des titres d’occupation à des fins d’activités économiques. En 2020, la direction territoriale Saône-Rhône des VNF a sélectionné le projet « L’île Ô » porté par l’association Patadôme, pour occuper pendant dix-huit ans un emplacement au pied du pont Gallieni, sur la berge du Rhône dénommée « Bertha Von Suttner » en centre-ville de Lyon.

 À quai.

Un théâtre dédié au jeune public

Ce nouveau théâtre, comme à Irigny, vise un public très jeune tout en s’adressant également à toute la famille. Ainsi l’emplacement a été choisi avec soin pour sa proximité avec plusieurs écoles et pour sa jeune population. « D’une superficie de 800 m2, le théâtre flottant a des dimensions remarquables, explique David Lahille, cofondateur du projet avec Jean-Philippe Amy. Faisant 38 mètres de long et 11 mètres de large, il pèse 780 tonnes ! Il comprend deux salles de spectacles, accessible aux PMR, de 244 et 78 places ; 240 m2 d’espaces modulables répartis sur trois niveaux sont dédiés à la restauration, aux ateliers artistiques, à la formation professionnelle et aux événements d’entreprise. Un rooftop de 130 m2 couronne l’équipement. » La superstructure a été conçue intégralement en bois pour ses qualités environnementales, son esthétisme mais aussi pour créer ce lien de parenté avec sa grande sœur, la salle d’Irigny. Ainsi le CLT se perçoit en sol, mur et plafond. Seules quelques encoffrements en plaque de plâtre, réalisés pour assurer la stabilité au feu d’éléments métalliques, viennent perturber cette lecture tout bois. Les façades se parent d’un bardage métallique blanc qui protège et assure la pérennité des ouvrages en bois dans un milieu humide. Le tout prend place sur une coque en béton armé. Sans moyen de propulsion propre, cette « barge » doit faire appel à un pousseur pour tout déplacement.

Un processus de conception original

À la fois bâtiment en tant qu’ERP et en tant que bateau, à cheval sur plusieurs réglementations, le processus de conception de cet équipement a demandé de l’originalité et de l’engagement.
La réglementation dite « classique » pour les bâtiments ne s’applique pas pour un bateau où seules les règles de l’art sont évoquées. Le projet a été conçu par le Néerlandais Koen Olthuis et son studio d’architecture Waterstudio NL. Conseiller spécial en construction flottante auprès de l’Unesco, le studio de La Haye développe des solutions « aquatiques » pour répondre au défi de l’urbanisation des côtes ainsi qu’à la montée des eaux. Après l’esquisse, le projet a été pris en main par la maîtrise d’ouvrage et BOW.

Ce dernier est un atelier d’architecture navale et d’ingénierie spécialisé dans la conception, l’étude et le développement de projets flottants. Très rapidement, les entreprises sélectionnées pour les travaux ont intégré l’équipe projet avec ses bureaux d’études techniques pour finaliser la conception de l’équipement. La structure bois a notamment été calculée par le BET de Cormaranche-en-Bugey (Ain) Cornet structure bois et les assemblages pour le béton armé par Assemblage Ingénierie (Côte-d’Or). Le bureau de contrôle Sud Est Prévention a eu une mission étendue avec un rôle de prescripteur. Le bâtiment a dû recevoir l’aval de la direction départementale des territoires (DDT), dépendante du ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires.

 La petite salle.
 Pour les grandes portées on utilise des poutres métalliques.
Photo : FD Charpente
 La petite salle.
 Une des entrées vue de nuit.
  • Maître d’ouvrage : LILEO (69)
  • Architecte : Waterstudio (NL)
  • Architecte naval : BOW (75)
  • BET Structure béton : Assemblage Ingénierie (21)
  • BET Structure bois : Cornet structure bois (01)

Programme

  • Surfaces : 800 m2 pour deux salles (244 + 78 places)

Calendrier

  • Livraison : début 2023
  • Durée du chantier : dix mois

Étude et conception

BOW a réalisé le dimensionnement de la coque en béton tandis que le calcul des assemblages et des ferraillages a été assuré par Assemblage Ingénierie. « La coque est constituée d’un fond de 230 mm d’épaisseur et de latéraux de 170 mm d’épaisseur, le tout en béton armé, explique Youri Guedj, architecte naval et fondateur de BOW. Des voiles de 200 mm d’épaisseur lui évitent de se déformer sous la pression de l’eau. Des caissons de 730 mm de large qui la ceignent sécurisent le bâtiment en cas de choc et assurent l’étanchéité.» Plus d’une quarantaine de pompes de relevage permettent de répondre aux amenées d’eau. La coque a été conçue et dimensionnée pour recevoir en cale les scènes et une partie des gradins de la grande et de la petite salle.

 

 

Plan d’amarrage.
Doc : BOW

La grande salle se déploie sur toute la hauteur de l’équipement soit trois niveaux et la petite occupe quant à elle deux niveaux. Elles émergent dans la « superstructure » en panneau de CLT conçue par le BET Cornet Structures Bois. Les planchers, en 100 ou 120 mm d’épaisseur, sont repris par des poutres LCL 160 x 220, des HEA lorsque la portée ou la charge sont importantes, et quelques voiles en CLT de 100 et 160 mm. L’ensemble est également refermé en toiture par des panneaux de CLT. La charpente bois est posée en rive de la coque en BA sur une simple lisse bois comme sur la terre ferme. BOW a également réalisé une étude de stabilité de l’équipement pour s’assurer que celui-ci ne prenne pas de gîte, notamment en cas de panique.

 Coupe sur l’équipement.
Doc : MDA

Une étude d’amarrage a par ailleurs été effectuée afin de parer aux éventuelles crues centennales et assurer un tirant d’eau constant de 200 cm. Les trois passerelles d’accès jouent le rôle de butons pour maintenir une distance constante entre le bâtiment et le quai. Elles sont reprises sur le quai par des massifs d’ancrage et des pieux métalliques. L’ensemble est contreventé par des câbles inox.

Le théâtre à quai.
Doc : BOW

Réalisation

Ce chantier exceptionnel s’est déroulé à flot, à l’abri de la houle et des embruns ! Le lot charpente bois a été réalisé par l’entreprise iséroise FD Charpente.

Photos : FD Charpente

Trouver un endroit pour débuter le chantier a été le premier casse-tête des maîtres d’œuvre. Puisqu’il était difficile de trouver une cale sèche, il a été décidé de réaliser le flotteur en béton sur la terre ferme. C’est au port Edouard-Hérriot à Lyon, sur le site de production de l’entreprise Vicat, qu’une dalle en béton a été coulée pour accueillir l’ouvrage et le quai renforcé pour l’arrivée de la grue à chenille de 1500 tonnes destinée à la mise à l’eau de la coque.

Les panneaux de CLT ont été produits par la société Schilliger Bois, en partie sur son site français à Volgelsheim (Haut-Rhin) et en partie dans son usine suisse à Küssnacht. Directement livrés sur le chantier par semi-remorques, ceux-ci ont été levés grâce à une grue à tour et installés sur la coque une fois celle-ci mise à l’eau. L’interface avec l’ouvrage en béton a été traitée comme à terre avec une simple lisse basse et une barrière anticapillarité.

Il a fallu recourir aux outils traditionnels comme le cordeau et l’équerre pour la pose à niveau des murs, des muralières et des planchers. L’habillage acoustique en bambou de la grande salle du théâtre a été réalisé par l’atelier Déambulons, spécialiste du matériau situé à Brignais (Rhône).

Volume de bois : 280 m3 de CLT en bois d’épicéa français et de la Forêt-Noire.

Logistique & Délais

Temps passé : 12 mois d’étude, 2 mois de pose

Matériel de levage utilisé sur le chantier : grue à tour mobile

Livraison : 2022

Entreprise : FD Charpente

Gérants : Léopold Durand et Anthony Ferrand

Création : 2012

 Levée de la charpente.
 Les gradins sont en CLT.
 Une partie du chantier a eu lieu à flot.
 La cage d’ascenseur en CLT.

Le cahier a été réalisé par Bastien Lechevalier, architecte DPLG.

L’ensemble du magazine Wood Surfer 132 est à retrouver sur la plateforme Calameo.