Un paquebot « signal » en bois, béton et zinc

Inscrit dans un site ferroviaire contraint, cet immeuble tertiaire marquant affiche une architecture résolument contemporaine, où les façades distinctes sont bardées de zinc prépatiné rouge terre, de murs-rideaux et de résilles d’acier qui reprennent les codes morphologiques et esthétiques du bâti industriel alentour.

Conçu par l’architecte Anne Carcelen, le siège social de l’Urssaf Île-de-France prend place au sein du parc du Pont-de-Flandre à Paris 19e, l’une des plus grandes zones tertiaires de la capitale. Situé à proximité de la gare RER Rosa-Parks et le long de la voie ferrée, l’immeuble occupe une parcelle stratégique en proue lui conférant une position urbaine centrale dans le quartier, sachant qu’il est le dernier bâtiment édifié sur ce site de 10 hectares de bureaux provenant de la reconversion des magasins généraux, dont il reprend la morphologie retranscrite. « Ce patrimoine remarquable s’ouvre sur les quais de la Charente et de la Gironde dans le 19e arrondissement de Paris. La succession de toitures industrielles, de charpentes en bois habillées de pierres et de briques, forme un ensemble d’envergure qui marque le paysage français, relate l’architecte Anne Carcelen. L’immeuble est conçu selon la trame du site, tout en s’étirant le plus possible vers la gare pour tendre une pointe effilée taillée en flèche par le tracé urbain de la prolongation de la rue Curial sous les voies SNCF. » Livré en décembre 2020, ce vaisseau fuselé, de 48 m et 56 m de longueur pour 18 m de largeur et 32 m de hauteur, s’élève sur 7 étages et repose sur un niveau de sous-sol logeant 35 places de parking. Au rez-de-chaussée et en façades sud et nord, les entrées conduisent à un hall d’accueil traversant qui ouvre sur des espaces de bureaux, des sanitaires, des vestiaires et plusieurs locaux techniques, un commerce et une salle de fitness donnant sur l’espace public relatif au parvis de la gare.

Un paquebot « signal » en bois, béton et zinc

 La façade principale (nord), sobre, qui présente sept niveaux de bureaux surmontés d’un étage en attique sous combles, est rythmée par la trame tertiaire de 1,35 m implantant les percements vitrés et la peau en zinc à joint debout prépatiné pourpre.
Photo : Nicolas Gromond

 En façade sud, le pignon (est) affiche une haute cimaise traitée en mur-rideau assorti d’une double peau qui, pourvue de balcons et de passerelles de maintenance, est insérée dans une fine ossature d’acier, habillée d’une résille en zinc sinusoïde perforé.
Photo : Nicolas Gromond

 L’angle est de l’édifice est marqué par un socle de 8 m de hauteur, en forme de pointe effilée, dégageant une terrasse (R + 2). Les façades sont dotées d’un mur-rideau en bois/aluminium de teinte gris greige, en accord avec le bois (intérieur).
Photo : Stephen Dock

Désolidarisation structurelle anti-vibratile

Placés au centre des plateaux, trois ascenseurs et deux escaliers de desserte des niveaux complètent le dispositif. À chaque étage, deux espaces de bureaux s’étirent en façade, de part et d’autre d’une bande servante. Au second niveau est aménagée une cafétéria se prolongeant par une terrasse. « L’ensemble s’organise autour d’un noyau central en béton servant de contreventement et comprenant les circulations verticales et les sanitaires, ceinturé par une circulation périphérique qui dessert les espaces de travail, avec une hauteur libre de 2,97 m », souligne l’architecte. Le volume imposant du dernier étage accueille un vaste espace de réunion dévolu à des séminaires ou à des formations. L’immeuble se compose d’une infrastructure en béton qui est désolidarisée de la superstructure par un traitement technique anti-vibratile mis en place en raison de la proximité des activités ferroviaires liées au faisceau SNCF, source de nuisances sonores. Entre le sous-sol et le rez-de-chaussée ont ainsi été posées des boîtes à ressorts précontraintes qui, équipées d’amortisseurs visqueux, assurent un filtrage acoustique efficace, le niveau sonore ne devant pas dépasser 40 dB. Si le rez-de-chaussée est bâti en ossature béton, les étages sont montés en ossature mixte à poteaux-poutres en solives de bois et planchers de béton connecté. Prenant appui sur quatre solives, chaque plancher est formé d’une prédalle préfabriquée en béton de 5 cm d’épaisseur et d’une dalle de compression de 6 cm coulée en place.

Bien repérable et ouvert sur la ville à l’ouest, l’ample paquebot bardé de zinc pourpre s’insère bien dans le paysage urbain parisien dominé par des friches industrielles requalifiées, le réseau ferroviaire SNCF et le pont du métro.
Photo : Nicolas Gromond

Longeant la voie ferrée, la façade pignon ouest, vitrée, est traitée différemment du pignon est, par un jeu de menuiseries en bois blond qui contraste avec le revêtement rouge global. Le niveau bas, qui vient en avancée, est vitré de la même manière, en continuité.
Photo : Nicolas Gromond

Ossature mixte bois/béton

« La masse de la dalle en béton mince, couplée à un système de faux-plancher, évite les transmissions des bruits solidiens et aériens pour garantir le confort acoustique des lieux, tout en conservant une rapidité d’exécution de pose », précise Anne Carcelen. Si l’ossature porteuse à poteaux-poutres en bois lamellé-collé (BL-C) est implantée suivant une trame de 2,70 m, l’entraxe de 1,35 m des solives bois (trame tertiaire) doit favoriser une évolutivité du cloisonnement. Quant aux façades longitudinales, elles ont fait l’objet d’un traitement spécial pour leur donner un aspect ondulant et plissé. « L’immeuble étant enclavé entre des voies ferrées, il est important d’offrir une paroi non réverbérante face aux tours de grande hauteur de la cité Michelet.
La peau enserrant le bâtiment est traitée avec des lanières à facettes en bacs de zinc à joint debout prépatiné Pigmento rouge (VMZinc, NDLR), qui réverbèrent le bruit en produisant une diffraction du son, limitant sa propagation », ajoute l’architecte. Les deux façades principales sont constituées chacune d’un mur-manteau à ossature bois (MOB) de deux hauteurs d’étage, et d’une structure rapportée en charpente bois qui reçoit une enveloppe de zinc prépatiné rouge terre se prolongeant en couronnement.

Peau en zinc prépatiné de ton rouge terre

Sur le pignon orienté à l’est est mis en œuvre un mur-rideau en menuiserie mixte bois et aluminium, la partie aluminium étant placée à l’extérieur pour sa résistance aux intempéries, et les épines en bois à l’intérieur pour offrir une harmonie avec les espaces de travail dominés par ce même matériau et un bon niveau de confort visuel. Le pignon est, lui, doté d’un autre type de mur-rideau en bois et aluminium, dont la trame de 135 cm se subdivise en 45 cm plus 90 cm, pour y insérer des ouvrants longilignes toute hauteur. Afin d’opérer une continuité visuelle avec les façades bardées de zinc, la toiture est composée d’une charpente en bois formée d’arbalétriers (tous les 2,70 m), revêtue d’une « peau unique formant façade et toiture » en zinc à joint debout prépatiné de ton rouge terre. Par ailleurs, la mise au point de ce projet s’appuie sur une démarche intégrale en Bim de modélisation en 3D, de la conception à l’exécution, où les architectes et l’entreprise Spie Batignolles ont œuvré avec les entreprises sous-traitantes et les BET pour mener à bien le contrôle technique sur l’ensemble du bâtiment, et intégrer ce processus en phase exploitation et gestion de maintenance géré par Icade. Le Bim a permis de résoudre les difficultés techniques liées à cet édifice et de gérer la complexité issue de sa morphologie atypique.  

Carol Maillard

PROGRAMME

Construction du siège social de l’Urssaf IDF à Paris 19e

Maîtrise d’ouvrage : Icade Foncière,
Icade Promotion (MOD)

Maîtrise d’œuvre : Anne Carcelen,
architecte ; Artelia (AMO/BET/HQE) ;
AIA Ingénierie (BET structure) ; Arcoba
(BET fluides) ; Avel acoustique (BET acoustique) ; Mazet & Associés (économiste) ;
CL Infra (BET VRD-Paysage) ; RFR (BET façades)

Entreprise générale : Spie Batignolles
Île-de-France, avec Mathis comme sous-traitant pour la charpente et la façade bois

Surfaces : 8 670 m2 SDP

Coût des travaux : 21,5 M€ HT (valeur 2018)

La façade nord et le pignon est exhibent des expressions architecturales distinctes, mais homogènes, grâce à l’usage du zinc prépatiné coloré, de l’acier galvanisé et de l’inox qui font écho au passé industriel du site.
Photo : Nicolas Gromond

Axonométrie, élévation et coupe sur un MOB
Doc. : Anne Carcelen

 

 

UN MUR-MANTEAU EN MOB ET ZINC

Posées par l’entreprise de charpente bois Mathis, les deux façades prin­cipales de l’édifice sont constituées chacune d’un mur-manteau à ossature bois (MOB) de 23 cm d’épaisseur qui, tramé selon un pas de 2,70 m, s’élève sur une double hauteur d’étage. Ce complexe comprend un panneau OSB extérieur (12 mm), une couche de laine minérale (200 mm) et un autre panneau OSB intérieur (18 mm), alors que la contre-cloison intérieure désolidarisée est constituée de laine minérale (50 mm) et de deux plaques de plâtre (BA 13). Il reçoit une structure rapportée, formée de chevrons fuselés en bois dessinant une ondulation créée par l’architecte. Sur ces éléments sont fixées des voliges en bois, support de l’enveloppe en zinc à joint debout prépatiné de couleur rouge terre, posée telle une couverture qui se retourne en toiture.

 

 

 

MUR-RIDEAU ALLIÉ À UNE DOUBLE PEAU

Sur la façade pignon (est) du bâtiment a été mis en place, devant la structure interne à poteaux carrés (350 mm) et poutres d’épicéa (372 × 430 mm), un mur-rideau mixte en bois et aluminium (60 × 180 mm) sur lequel a été fixée une double peau en structure métallique servant de balcons-passerelles. Chaque élément comporte des profils d’acier (100 × 60 mm) supportant un caillebotis en acier galvanisé et un garde-corps en maille inox, une résille en zinc sinusoïde perforé prépatiné rouge venant habiller le reste de la cimaise.

Élévation, plan et coupe sur un mur-rideau
Doc. : Anne Carcelen

ANNE CARCELEN ARCHITECTE

« Émergeant de la mer des rails, seul comme un phare, coincé entre deux réseaux ferrés, l’édifice signale par sa proue effilée cette grande composition urbaine. »

Au commencement, il y a une immersion dans le territoire. On le parcourt, on le respire, on regarde comment il est baigné de lumière, comment les gens le traversent, quelles sont les empreintes laissées et le paysage amorcé. Pétri de contraintes, le projet du siège social de l’Urssaf IDF se devait de renverser la composition initiale des magasins généraux, en ouvrant ce grand parc immobilier tourné vers les quais de la Charente à l’est et vers la nouvelle gare Rosa-Parks à l’ouest. D’une situation arrière, il devenait proue de ce grand paquebot. Émergeant de la mer des rails, seul comme un phare, coincé entre deux réseaux ferrés, l’édifice signale par sa proue effilée cette grande composition urbaine. Il se sculpte au gré des espaces qu’il regarde, offrant cinq façades qui se ressemblent, tout en se distinguant. La courbe qui accompagne les voies ferrées se poursuit en toiture pour redescendre en coiffant le bâtiment, telle une selle de cheval capitonnée diffractant le bruit des trains. C’est un plissé de zinc dénué d’appendice, la technique se cantonnant en sous-sol. D’un côté, le bruit, la vitesse et une carapace courbe ; de l’autre, il se domestique de lucarnes à la Mansart côté ville, puis se creuse de l’ombre portée de l’empreinte des magasins généraux par une mantille en zinc. Ce zinc Pigmento rouge, sorte d’écorce pérenne, protège un immeuble bâti en bois, dans un mariage hybride assumé qui privilégie la mixité des matériaux pour une économie de matière et de carbone. La beauté provient de la cohérence et de l’évidence des matériaux mis en œuvre dans leur vérité constructive, leur efficience et le coût énergie-carbone associé.

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