Immeubles bois : défi de la massification

Stéphan de Faÿ, directeur général de Grand Paris Aménagement, avait découvert les atouts du bois dans la construction en dirigeant l’EPA Bordeaux Euratlantique entre 2014 et 2020, période qui a vu sortir de terre des réalisations expérimentales comme l’immeuble de bureaux Perspective ou la tour Hypérion. Quel regard porte-t-il aujourd’hui sur la construction bois multiétage ? Entretien.

 Stéphan de Faÿ : « Dans le Grand Paris, on a beaucoup d’opérations qui se font en bois, mais je remarque quand même que c’est plus lent par rapport à ce qui se passait à Bordeaux. »
Photo : Djibrann Hass

Quelle place voyez-vous pour les bâtiments bois de moyenne et grande hauteur dans les années à venir ?

De nos jours, les bâtiments de grande hauteur, les mégaprojets, ont plus de difficultés à sortir par rapport à ce que l’on pouvait observer il y a quelques années. Et c’est une tendance au niveau mondial. Je ne pense pas qu’on aille vers la multiplication de ce type de construction. Le véritable enjeu, ce sont les bâtiments de moyenne hauteur.

Le simple fait que l’on ait imposé en France les règles en matière d’artificialisation des sols avec l’objectif de « zéro artificialisation nette », prévu par le Plan biodiversité, prouve que nous allons assumer une ville dans laquelle on s’élève un petit peu plus qu’avant, mais qui pour autant ne doit pas être difficile à vivre. Regardez Paris, le gabarit de l’immeuble parisien est très intéressant !

L’immeuble de moyenne hauteur est une excellente réponse pour de nombreux territoires. Dans le Grand Paris, on a beaucoup d’opérations qui se font en bois, mais je remarque quand même que c’est plus lent par rapport à ce qui se passait à Bordeaux. Certes, on avait livré le premier grand ensemble résidentiel en bois de 140 logements avec Woodeum à Ris-Orangis dès 2016, mais, quand je suis arrivé ici, l’objectif pour les immeubles en structure bois était plutôt de l’ordre de 5-10 % des constructions. En signant le pacte Fibois Île-de-France en 2020, Bois-Biosourcés, nous n’étions qu’au niveau bronze.

On opère ici en région parisienne sur une centaine de territoires, avec des élus aux points de vue très divers sur le bois. Il faut démontrer et réussir à convaincre. Nous travaillons aussi avec beaucoup de promoteurs pour qui, jusqu’à récemment, la capacité à maîtriser les nouveaux modes constructifs n’était pas une priorité. Malgré cela, nous avons décidé d’augmenter drastiquement la part du bois, et plus généralement la mise en œuvre de modes de construction biosourcés et géosourcés et hors site.

Quelles différences y a-t-il entre vos expériences à la tête de l’EPA Bordeaux Euratlantique et de Grand Paris Aménagement concernant la construction bois ?

À Bordeaux, construire en bois local, transformé localement, s’est révélé beaucoup plus facile que ce à quoi nous pouvions nous attendre. C’est un territoire à taille humaine en comparaison avec l’Île-de-France, et tous les acteurs – promoteurs, constructeurs, charpentiers… se connaissent plus ou moins bien, et puis il y a une réelle culture du bois et de la forêt. Le premier projet  Perspective, immeuble de bureaux R+6 construit avec du lamellé-collé en pin des Landes, lancé en 2011  était très expérimental.

Quand nous avons lancé le projet de la tour Hypérion, à l’époque la plus haute tour en bois du monde, il y a eu un énorme engouement de la part de toute cette communauté parce qu’il s’agissait de quelque chose de rare et d’ambitieux dans un territoire à taille humaine. En région parisienne, il y a des projets très emblématiques en construction bois, mais cela prend une dimension presque banale, ce qui est dommage. C’est quelque chose qui m’a beaucoup frappé quand je suis arrivé à Paris. La construction bois qui était très « hype » à un moment semble susciter moins d’intérêt.

Cependant, en Île-de-France, en dehors du Grand Paris, il y a une exception majeure : les projets du Village des athlètes, portés par la Solideo sous la houlette de Nicolas Ferrand. Il s’agit là d’une démarche volontariste à très grande échelle en faveur de la construction bois. Or, aujourd’hui, il n’est pas facile de faire émerger une vraie ambition dans ce domaine, ne serait-ce qu’à cause du durcissement des règles de sécurité incendie. Les assureurs se posent de plus en plus de questions. Quand on compare la situation actuelle avec ce qui se passait il y a une dizaine d’années, on ne peut pas affirmer que les difficultés ont disparu. Simplement les défis sont devenus différents.

Pendant Woodrise, on va se pencher sur le problème de la compétitivité économique de la construction bois. Est-ce que la situation a évolué ces dernières années ? Peut-on dire, par exemple, que l’État y a apporté un soutien important ?

Oui et non. Aujourd’hui, il y a une vraie politique de soutien au développement de filières industrielles en particulier dans le cadre de France 2030. L’appel à projets Construction et rénovation hors site (CRHOS), pour citer un exemple récent, ne soutient d’ailleurs pas que la filière bois, mais de façon générale les filières de construction hors site. Il vise à subventionner l’outil industriel, mais également tous les projets de recherche, de labellisation technique, de sécurité d’approvisionnement qui sont, bien entendu, très importants pour la compétitivité.

A contrario, on ne peut pas vraiment affirmer qu’il y a une politique structurée de soutien économique aux projets en construction bois. Les terrains, par exemple, sont vendus au même prix quel que soit le mode constructif prévu. En revanche, depuis 2019, l’État a mobilisé ses aménageurs en leur demandant d’avoir dans la production chaque année un minimum de volume en construction bois. Je constate aujourd’hui que les acteurs qui maîtrisent vraiment le processus sont très compétitifs en termes de prix.

Je mets néanmoins un bémol. Souvent, ces acteurs-là s’appuient sur les fournisseurs étrangers qu’ils considèrent à tort ou à raison comme plus fiables au niveau de la sécurité d’approvisionnement, même s’il y a eu quelques investissements lourds en France comme, par exemple, dans les usines de Piveteaubois. La mobilisation des ressources locales reste un vrai problème. La structuration de la filière française n’est pas encore optimale et c’est tout de même un enjeu majeur pour les années à venir si l’on veut aller au bout de la logique de décarbonation.

Avec l’arrivée de la RE 2020, la filière bois a découvert beaucoup de concurrents revendiquant le profil « bas carbone ». Est-ce que selon vous il s’agit d’une nouvelle vague de greenwashing de la part de certains industriels ?

Pour moi, la RE 2020 dans ses premiers niveaux, et en particulier celui de 2022, est une norme de transition à laquelle il n’est pas difficile d’adapter des projets conçus avant qu’elle n’entre en vigueur et ceci avec un surcoût pratiquement nul. En revanche, quand je regarde les seuils 2028 et a fortiori 2031, c’est une autre histoire, car il faudra intégrer aux projets un volume significatif de produits biosourcés, le bois étant une des réponses, mais pas la seule. Si au début nous étions peut-être un peu dans le greenwashing, de plus en plus d’acteurs ne vont pas pouvoir répondre aux exigences de cette réglementation s’ils ne changent pas réellement en profondeur leurs méthodes.

 Le chantier de l’immeuble de bureaux Perspective à Bordeaux. Livré en 2018, ce R + 6 est la première opération s’inscrivant dans la démarche de construction bois de l’EPA Bordeaux Euratlantique. Architectes : Nicolas Laisné et Dimitri Roussel, promoteur : Groupe Pichet.
Photo : Nicolas Laisné-Dimitri Roussel

Quels sont les principaux objectifs de l’aménagement des villes et des territoires que l’on vise actuellement ?

Le premier enjeu que l’on a en tant qu’aménageur, c’est la question de la mixité. D’abord, la mixité fonctionnelle : éviter les quartiers uniquement résidentiels à perte de vue, éviter les quartiers de bureaux où il n’y a pas d’habitants… La culture de l’urbanisme français héritée du Corbusier nous a plutôt amenés à avoir des secteurs bien différenciés. Mixité sociale aussi : éviter les effets de ghettos – que ce soit ghetto de pauvreté ou concentration de richesses. Deuxième enjeu majeur : avoir un urbanisme qui soit respectueux de l’histoire des territoires où l’on intervient. Aujourd’hui, c’est une des conditions d’appropriation des projets urbains. Troisième enjeu : c’est la question de la décarbonation de l’acte de construire et – surtout – de l’adaptation aux nouvelles conditions climatiques qui seront les nôtres en 2050. Dans 30 ans, le nombre de jours de canicule va être multiplié par cinq par rapport à aujourd’hui.

Comment procéder pour que ce que l’on produit aujourd’hui soit agréable à vivre et ce, sans climatisation active en 2050 ?

On a un autre enjeu qui pour moi est essentiel et encore très mal pris en compte : l’impact du bâtiment sur la santé y compris la santé mentale. C’est quand même un des risques majeurs et on voit que dans la construction de logements, il n’y a quasiment pas d’acteurs qui se posent la question de ce qui est favorable ou pas au bien-être, notamment au niveau urbain. Cela rejoint en partie les questions d’adaptation au changement climatique avoir des îlots de fraîcheur, pouvoir se reconnecter à la nature y compris en territoires urbains… C’est important aussi pour l’apaisement de nos sociétés. Le sujet est complexe, mais nous le prenons à bras-le-corps.

Propos recueillis par Anna Ader

Cet article est extrait du numéro 133 du magazine Wood Surfer disponible sur Calameo.